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De la Terre de Feu, le Beagle remonte la côte du Chili. Darwin fut fort malade vers cette époque, et passa six semaines au lit, à Valparaiso, atteint d’une maladie dont le diagnostic demeura toujours obscur et qui l’affaiblit beaucoup. Il commençait cependant à souhaiter le retour.


J’aimerais à savoir dans quel état vous êtes, moralement et physiquement, écrit-il à son ami Fox. Quien sabe ? comme on dit ici (et Dieu sait qu’ils peuvent le dire, car ils sont suffisamment ignorans !) ; peut-être êtes-vous marié, et soignez-vous, ainsi que le dit Mlle Austen, de petites branches d’olivier, petits gages d’une mutuelle affection !

Eh ! eh ! ceci me remémore certaines visions d’avenir où je voyais du repos, des cottages verdoyans et des jupons blancs. Qu’adviendra-t-il de moi après ceci ? Je l’ignore. Je me sens comme un homme ruiné qui ne sait ni ne se soucie de savoir comment il arrivera à se dégager.


Le retour s’effectua par Sainte-Hélène, à la fin de 1836, après une absence de cinq ans.

L’importance de ce voyage a été capitale pour la destinée de Darwin, et c’est à juste raison qu’il considérait la date du départ comme une nouvelle naissance. Les résultats de cette longue absence ne sont pas seulement ceux qu’il a consignés dans l’intéressant Voyage d’un naturaliste, — résumé de ses notes et de ses lettres, et dont divers fragmens ont été expédiés comme lettres à sa famille, — et dans les mémoires présentés par lui, à son retour, aux sociétés savantes. Ils sont principalement dans l’expérience qu’il acquit dans l’étude des sciences naturelles, dans les observations de toute sorte qu’il put faire, et dans les réflexions que les faits firent surgir en son esprit. Ce voyage a été pour Darwin l’initiation véritable à l’observation, à la méthode, à la science, et il paraît certain qu’il a été pour le développement de son esprit, de ses idées, l’événement capital de son existence.

Au retour du voyage, il n’est plus question pour Darwin de devenir un clergyman. Il s’occupe de mettre ses collections et documens en ordre pour en tirer parti. L’idée de l’église est entièrement abandonnée, sans qu’il en ait été même parlé. Au cours même de son voyage, Darwin avait bien senti que sa vie avait changé, et que ses plans originels devaient se modifier ; mais il ne voyait guère en quel sens. À son retour, nulle hésitation : il sait ses caisses et ses cahiers de notes pleins d’échantillons à décrire, de faits à expliquer, et il se met au travail. « Je n’ai rien à désirer, si ce n’est une meilleure santé, afin de continuer les occupations auxquelles j’ai joyeusement décidé de consacrer ma vie. » — « Mon