Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/172

Cette page a été validée par deux contributeurs.
166
REVUE DES DEUX MONDES

Aussitôt, il fut décidé que le jeune Darwin irait faire ses humanités à Cambridge, où il arriva à la fin de 1828, après avoir refait un peu connaissance avec le grec et le latin, grâce au secours d’un précepteur. Relativement à son séjour à Cambridge, ses lettres et son autobiographie nous fournissent des données fort intéressantes. Le genre de vie qu’il y mène est agréable, et ses souvenirs de Cambridge ont toujours eu pour lui le plus grand charme ; mais ce qu’il regrette de Cambridge, — dans ses lettres, cela est fort apparent, — ce n’est point l’Alma Mater, ce qu’il en aime, ce n’est pas le lieu de travail, ce sont les plaisirs et quelques amis. Darwin a toujours considéré comme entièrement perdu, au point de vue du travail et de la discipline mentale, le temps qu’il passa à Cambridge ; c’est un fait sur lequel il revient volontiers, disant qu’il y a perdu son temps aussi complètement qu’à Shrewsbury ou à Édimbourg. Non-seulement Darwin ne travaille guère à Cambridge, — d’où il sort pourtant avec le dixième rang en 1831, mais il y mène une vie assez dissipée, — où la chasse, les courses et les dîners fins tiennent une place considérable. « Par suite de ma passion pour la chasse et le tir, et, quand ces exercices étaient impraticables, pour les courses à cheval à travers la campagne, je me lançai dans un monde de sport comprenant quelques jeunes gens dissipés et d’ordre inférieur. Nous dînions souvent ensemble le soir, et bien que parfois il se trouvât là des jeunes gens de caractère plus élevé, nous buvions quelquefois trop, nous chantions et nous jouions aux cartes après le repas. Je devrais être honteux de l’emploi de ces jours et de ces soirs écoulés, mais quelques-uns d’entre mes amis d’alors étaient très agréables, et nous étions tous de si joyeuse humeur que je ne puis m’empêcher de me remémorer cette époque avec un vif plaisir. »

Darwin a toutefois des goûts plus relevés, et ce genre de vie ne peut lui convenir longtemps. Ses goûts esthétiques, qui se formèrent à Cambridge, furent assez puissans, mais ils ont singulièrement diminué dans la suite de sa vie. À Cambridge, il allait souvent au musée Fitz-William admirer les œuvres d’art ; il aimait la musique, allant à la chapelle pour entendre les chants, payant les enfans de chœur pour venir chanter chez lui, recherchant les sociétés musicales et les concerts. Avec cela, une oreille étrangement dressée, incapable de percevoir une dissonance, de sentir la mesure : il ne pouvait fredonner un air correctement. Pourtant, la musique lui causait un véritable plaisir ; il parle souvent des « frissons qui lui passent dans la colonne vertébrale » quand il entend de belle musique. Il aimait aussi la poésie et la lecture variées.


Jusqu’à l’âge de trente ans ou environ, la poésie de tout genre, —