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rimentale. Nos études et travaux en chimie furent connus à l’école, et comme ce fait était sans précédent, je fus surnommé Gaz. Je fus réprimandé une fois en public par le premier maître de l’école, le docteur Butler, pour perdre ainsi mon temps à des sujets aussi inutiles, et il m’appela injustement un poco curante : comme je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire, le reproche me paraissait terrible.


En octobre 1825, le jeune Charles Darwin, qui n’est toujours rien moins qu’un enfant prodige, est retiré de l’école, où il ne fait rien de bon, et envoyé à Édimbourg pour étudier la médecine avec son frère Érasme. Il y reste deux ans ; mais, avoue-t-il, il n’y travaille guère, s’étant aperçu à divers signes que son père lui laisserait une fortune suffisante pour vivre, sans avoir besoin de se livrer à l’exercice de la médecine. Celle-ci l’intéresse médiocrement. Il se rappelle avec un frisson rétrospectif certain cours :


Les leçons de matière médicale du docteur Duncan à huit heures du matin, l’hiver, m’ont laissé de terribles souvenirs. Le docteur X… rendait son cours sur l’anatomie humaine aussi ennuyeux que lui-même, et le sujet me dégoûtait. Cela a été un des grands malheurs de ma vie que je n’aie pas été astreint à disséquer. J’aurais vite surmonté mon dégoût, et cet exercice eût été d’une valeur inappréciable pour tout mon travail futur. Ceci a été un mal irréparable, ainsi que mon inhabileté à dessiner.


Les visites à l’hôpital l’intéressent davantage, mais sont pour lui une source d’émotions désagréables ; les opérations surtout, dont certaines lui font fuir l’amphithéâtre et lui ont laissé un souvenir des plus vifs. C’était avant la découverte du chloroforme, et la vue du sang avec les cris des patiens l’impressionnèrent profondément. Cependant, durant ses vacances à Shrewsbury, il s’occupe de la médecine, visitant les malades pauvres et conférant avec son père sur le diagnostic à porter et le traitement à prescrire.

Pendant son séjour à Édimbourg, Charles Darwin donne quelque attention aux sciences naturelles et publie son premier travail, une Note (1826) sur les prétendus œufs des Flustres, dont il démontre le caractère larvaire. Il assiste aussi aux séances de la Royal Medical Society ; il apprend à empailler ; il suit les excursions géologiques. Au cours de ces dernières, il entend de singulières choses, qui le frappent d’autant plus, rétrospectivement, qu’il en a pu mesurer toute l’étrangeté : « Durant ma seconde année à Édimbourg, je suivis des cours de géologie et de zoologie, mais ils étaient incroyablement ennuyeux ; le seul effet qu’ils produisirent sur moi fut que je pris la détermination de ne jamais lire un livre de géologie ou d’étudier cette science. »