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consacré leur vie à cette œuvre de relèvement des déshérités de la société. Avec des moyens d’action différens, le but en vue est resté le même pour l’un comme pour l’autre, poursuivi avec persévérance, avec une énergie sans égale. Tandis que Lassalle voulait remédier au mal en substituant au salariat l’exploitation coopérative avec le concours de la monarchie dans l’Allemagne unifiée, Marx cherchait le salut dans le renversement complet de l’ordre existant, par une action combinée des prolétaires de tous les pays contre la propriété individuelle.

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » s’écriait Marx dans son premier appel à la révolution sociale. Cette conclusion résume l’œuvre entière du grand agitateur. L’idée a pris un corps dans l’association internationale des ouvriers, dont il a été le créateur et dont il a conservé la direction occulte. Sa doctrine visait à l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes. Ses ouvrages, surtout son livre sur le Capital, devenu la Bible du socialisme, ont eu pour objet d’établir la base scientifique irréfutable de la doctrine. Abolition de la propriété privée, centralisation du crédit aux mains de l’état dans une banque nationale ; pratique de l’agriculture en grand, d’après les méthodes les plus perfectionnées ; exploitation de l’industrie dans des ateliers nationaux, tels devaient être les moyens d’exploitation. Expulsé d’Allemagne pour ses opinions extrêmes, tour à tour réfugié à Paris, à Bruxelles, à Londres, Karl Marx a vécu dans l’exil, poursuivant ses études dans une retraite modeste, remuant les masses populaires à distance, sans se mêler à elle. Au sein du comité de l’Internationale, son caractère autoritaire s’est heurté contre des rivalités qui ont abouti à la dissolution de l’association, après dix années d’une existence agitée. Toutes ses recherches tendent à démontrer que le capital ou la richesse est, dans les conditions économiques actuelles, le résultat de la spoliation. Le paupérisme gagne du terrain à mesure que le capital s’accumule, d’où l’aphorisme déjà exprimé par Proudhon : « La propriété, c’est le vol. » Dans sa conviction, « le mystère du travail productif se résout en ce fait qu’il dispose d’une certaine quantité de travail qu’il ne paie pas. » — « Par lui-même, le capital est inerte : c’est du travail qui ne peut se revivifier qu’en suçant, comme le vampire, du travail vivant. » Pour remédier à cet état de choses, la victime, les travailleurs épuisés par le capital, ont dans le monde entier un intérêt, partout le même, celui de s’emparer de l’agent d’oppression et d’abolir la propriété privée ou de l’exploiter collectivement pour le bien commun de tous. De là la nécessité d’une entente des ouvriers de tous les pays et l’organisation de l’association internationale.