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plus capable dans sa marine. » De pareils témoignages constituent déjà un gage des plus sérieux pour l’avenir : ne les considérons toutefois que comme un premier échelon vers la gloire. C’est la gloire, « la grande gloire, » que le capitaine de frégate Roussin était destiné à conquérir un jour.

La capitulation de l’Ile-de-France laissait à la garnison ses armes et ses drapeaux ; elle garantissait aux officiers et aux équipages des bâtimens de guerre, aussi bien qu’à ceux des corsaires, la liberté. Le gouvernement anglais s’engageait à les rapatrier à ses frais. Roussin prit passage, le 11 décembre 1810, sur le parlementaire Lord Castlereagh. Le 19 mars 1811, après plus de huit années d’absence, il foulait de nouveau la terre natale. L’empereur voulut le voir. « Je souhaite, lui dit-il en présence d’une assistance nombreuse, que vous ayez beaucoup d’imitateurs. » Combien de braves n’auraient pas cru payer trop cher de tout leur sang un pareil éloge !

Confirmé dans son grade de capitaine de frégate, décoré de l’ordre de la Légion d’honneur à l’âge de trente ans, Roussin sentait instinctivement que toutes les aspirations lui étaient permises. L’empereur cherchait un homme : de quels rangs cet homme pouvait-il sortir, si ce n’était des rangs déjà rajeunis d’une marine que Decrès considérait comme son œuvre, et qui ne lui inspirait encore ni ombrage ni envie ? L’ambition a ses mesquins côtés ; on ne peut nier qu’elle n’incline aux grandes choses. Une frégate portant du 18, la Gloire, nom de bon augure, était en armement au Havre. Le 23 septembre 1811, à six heures du matin, Decrès fait passer ce billet au directeur du personnel, M. Forestier : « Il faut nommer pour la Gloire un capitaine de frégate venant de l’Inde. Il faut tout de suite donner à ce capitaine le dispositif de l’armement, ainsi que j’avais fait à Roquebert et à Raoul. » Le directeur du personnel désigne le capitaine de frégate Roussin : le ministre et l’empereur s’empressent de ratifier ce choix.

La frégate est percée de 46 sabords : elle porte, dans la batterie, 28 canons de 18 ; sur le pont, 16 caronades de 24 et 2 canons de 8. Roussin en prend le commandement le 1er octobre 1811. Le 10 novembre, il demande un chronomètre. Qu’on reconnaît bien là l’officier du capitaine Motard, celui que le commandant de la Sémillante citait déjà, en 1808, comme « un bon astronome ! » Le 14 mars 1812, l’armement est achevé. Le 2 avril, Roussin écrit : « Je n’ai encore que des hommes de nouvelle levée, et, par conséquent, tout à fait ignorans, mais nous les exerçons à l’usage du canon. » A « l’usage, » remarquez-le bien, non pas au tir. En 1812, on ne gaspillait pas ainsi les munitions : la plupart des navires