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Arrivée le matin même d’Angleterre, l’Africaine était commandée par le capitaine Corbett, un des élèves favoris de Nelson. Corbett avait appliqué la méthode de son maître. Il ne demandait qu’à joindre l’ennemi, ne mettant pas un instant en doute l’issue du combat. 100 grenadiers et des officiers de la garnison anglaise de Bourbon avaient obtenu la faveur d’embarquer à son bord : joyeuse partie dans laquelle ces volontaires empressés s’attendaient à voir, suivant la promesse qui leur en était faite, « comment on prend une frégate française. » Le résultat ne répondit pas à leur attente. Jamais pareille boucherie ne précéda la défaite : l’Africaine, quand le combat cessa, était complètement démâtée ; le capitaine et tous les officiers, à l’exception d’un lieutenant et d’un aspirant, plus de 300 hommes sur 400, jonchaient le pont des gaillards et celui de la batterie. Les pertes de l’Iphigénie ne s’élevaient qu’à 9 tués et 32 blessés.

Comment nous expliquer cette énorme disproportion ? Le concours de l’Astrée y contribua peu. L’action se passa presque tout entière entre l’Africaine et l’Iphigénie. Ceci est un fait avéré, hors de discussion. La bonne volonté ne manqua certes pas au capitaine Lamarant ; mais est-il possible d’intervenir, en pleine nuit surtout, entre deux adversaires qui se sont saisis corps à corps ? Le commandant de l’Astrée l’essaya : ses boulets, s’il en faut croire la version du capitaine Bouvet[1], causèrent plus de dommage à la mâture de l’Iphigénie qu’à la coque de l’Africaine. Écartons donc, sans que la réputation du capitaine Lamarant en souffre le moins du monde, l’intervention de l’Astrée. Attribuons le succès, comme le veut une exacte justice, comme le fit le commandant Bouvet lui-même, « à la valeur des canonniers » formés par le commandant Duperré et par le capitaine Mourgues. Les canonniers de l’Iphigénie provenaient, en majeure partie, de la Bellone. Toute leur ardeur pourtant, toute leur habileté, si rare pour l’époque, n’auraient guère servi sans la tactique du capitaine Bouvet. Cette tactique, nous l’avons déjà exposée[2]. Elle consistait, avant tout, à éviter les tirs obliques. Le capitaine Corbett joignit l’Iphigénie, les pièces de sa frégate pointées en chasse : ses canonniers, sous la grêle de boulets qui ne tarda pas à les assaillir, ne purent jamais, le premier coup tiré, ramener les affûts au milieu du sabord. Fidèle à sa coutume, Bouvet attendait l’attaque avec sa batterie pointée en belle, avec tous ses canons visant à couler bas. Un coup de gouvernail, les voiles

  1. Précis des campagnes de l’amiral Pierre Bouvet.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er octobre 1887, les Cinq combats de la « Sémillante. »