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firent route avec le soleil dans les yeux. Des marins aussi consommés ! qui l’eût jamais cru ? La Néréide tire moins d’eau que les autres frégates ; elle franchit les hauts-fonds sans s’échouer. En mouillant, elle s’embosse à portée de pistolet de la division française. Le capitaine Willoughby la commande. Si la marine britannique eût eu, dans cette journée, à faire choix d’un champion, elle n’eût pu en faire sortir de ses rangs un plus brave. Bravoure et imprudence quelquefois se confondent : c’est la fortune qui en décide. Le Sirius et la Magicienne suivaient la Néréide. Elles s’arrêtent brusquement, la proue tournée vers la Bellone et vers la Minerve. Le même fit de coraux vient de heurter leurs quilles ; le même récif les retient serrées dans son implacable tenaille. Tous les efforts pour les dégager et les remettre à flot seront inutiles. Ce spectacle ne sera pas perdu pour le futur amiral Roussin : il s’en souviendra quand il devra, en 1833, forcer l’entrée du Tage.

La fortune abandonne donc enfin cette Angleterre que jusqu’ici elle a tant gâtée 1 Pas de milieu pour les capitaines du Sirius et de la Magicienne : il leur faut, en ce jour, vaincre ou périr sur place. Mieux inspirée ou avertie par le sort de ses conserves, l’Iphigénie jette l’ancre à mi-chemin. La division française ouvre le feu. La Néréide, la première, riposte. L’action ne sera qu’un duel de canonnière ; la manœuvre n’y jouera aucun rôle. Qu’importent les avaries de mâture à ces pontons forcément immobiles ? Tout boulet qui ne frappe pas en plein bois est un boulet perdu. Les câbles de la Minerve et du Ceylan ont été coupés dès les premières volées : ces deux navires sont jetés en travers et vont s’échouer sous le vent, — la Minerve à demi masquée par la Bellone, le Ceylan couvert en partie par la Minerve. La ligne d’embossage ne forme plus qu’un bloc hérissé d’artillerie : la batterie de la Bellone s’est, en quelque sorte, allongée de 18 pièces, — 9 appartenant à la Minerve, 9 autres garnissant les flancs du Ceylan. — Cette forteresse de bois, à double étage et à triple redan, accable la Néréide de ses projectiles. Quarante bouches à feu font voler en éclats les bordages de la malheureuse frégate. L’artillerie de la Néréide est bientôt réduite au silence.

Le Sirius, négligé, est, en réalité, peu à craindre : ses pièces de chasse sont les seules qui puissent porter. La Magicienne occupe une position moins désavantageuse. Plusieurs de ses canons prennent en écharpe la Minerve. A dix heures et demie du soir, la victoire n’est plus douteuse. La Néréide tire un dernier coup à mitraille. Ce seul coup, — tant le hasard a de part dans les combats de mer, — va peut-être changer la face de la journée. Atteint à la joue gauche par un biscaïen, le commandant Duperré est renversé