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événemens, malade et défaillant. En tout cas, il n’eût pas lié partie avec le cabinet de Berlin, s’il avait présidé à notre politique extérieure en 1866, sans se prémunir contre son ambition et son ingratitude par les plus solides garanties.

L’héritier présomptif de la couronne et son futur ministre se trouvaient, pendant la guerre d’Orient, engagés dans des voies divergentes ; ils ne partageaient ni les mêmes sympathies, ni les mêmes opinions, aux heures où le gouvernement du roi, inquiet, tiraillé en tous sens, ne parvenait à satisfaire ni la Russie ni les puissances alliées. Rien ne permettait de présager qu’un jour ils poursuivraient et réaliseraient dans une étroite collaboration les pensées ambitieuses qui les animaient tous deux. En 1854 et 1855, alors que M. de Bismarck pactisait avec le parti de la Croix et ménageait Pétersbourg, le prince de Prusse s’entourait des hommes éminens du parti libéral et portait ses regards vers Paris. « Vous allez donc faire quelque chose avec nous, j’en suis bien aise, » disait-il au marquis de Moustier, à l’occasion de la mission donnée au général de Wedel en vue d’une entente avec le cabinet des Tuileries.

L’idée d’un rapprochement entre les deux cours germait du reste à Berlin, dès le début de la guerre d’Orient, dans bien des esprits. M. de Manteuffel, bien qu’il dût signer « l’odieuse » convention d’Olmütz, pour sauver la monarchie des fautes commises par le roi et son ministre le général de Radowitz, la caressait, et déjà, en 1856, il songeait à l’Italie. Lorsqu’il revint du congrès de Paris, il me parla avec admiration du comte de Cavour. Il le tenait pour un politique de grande envergure et lui prêtait de vastes projets. Les éloges qu’il lui décernait me frappèrent d’autant plus que les rapports officiels entre Berlin et Turin étaient forts tendus. M. de Cavour avait dû laisser entrevoir à la politique prussienne, cela n’était pas douteux pour moi, des horizons nouveaux. C’est sous l’impression non effacée de ses entretiens avec le ministre piémontais qu’un an après, M. de Manteuffel envoya un personnage obscur de sa confiance à Plombières, pour pressentir l’empereur et le préparer à des remaniemens en Allemagne, en s’adressant à ses convoitises. On peut dire que cette mission occulte, qui remonte à 1857, a été le point de départ des pourparlers qui, plus tard, se sont poursuivis à Biarritz. À partir de ce moment aussi, un courant plus sympathique s’établit entre Berlin et Turin. La diplomatie prussienne commençait à flairer les avantages de l’alliance italienne.

M. de Manteuffel, toutefois, n’avait pas les visées assez hautes et l’autorité suffisante pour vaincre les préjugés de son roi et l’entraîner vers la France et l’Italie. Comme tous les hommes d’état prussiens, il rêvait l’hégémonie des Hohenzollern en Allemagne.