Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un coup d’éventail ; un baiser furtif au mieux aimé. Elle manœuvre entre tous les partis, les frappe et les protège tour à tour. Après tout, si les monarchies sont bonnes à quelque chose, n’est-ce pas à tenir ainsi la balance entre la majorité du jour et celle du lendemain ?

Je n’ai pas à blâmer Elisabeth d’avoir été une mauvaise protestante. Je ne la louerai pas davantage d’avoir été une catholique secrète et inconsciente. Un soir, les étudians d’une des universités ayant voulu la régaler d’une farce grossière contre la messe et les évêques papistes, elle s’en fut, irritée, dès la première scène et les laissa penauds. Vingt fois elle dit à ceux de la religion romaine : « Je crois ce que vous croyez. » Lorsqu’une bouffée de fanatisme, venue du dehors, éteignait les cierges sur l’autel de sa chapelle, elle se hâtait de les rallumer dès que les temps étaient redevenus calmes. Elle traitait ses évêques, surtout les évêques mariés, avec un mépris sanglant ; pendant le service divin, elle interrompait le prédicateur qui s’aventurait sur un terrain déplaisant, en lui criant tout haut : « Assez ! assez ! à votre texte ! » du même ton qu’on rappelle un chien à sa niche. Mais comment aurait-elle pu se rapprocher de Rome, elle, l’enfant du schisme ? Comment tourner le dos à ceux qui avaient acclamé son avènement ? Comment tendre les bras à ceux qui traitaient sa mère de prostituée, elle-même de bâtarde, et prodiguaient leurs bénédictions à sa rivale ? Elle s’abandonna aux circonstances. Au fond, peu lui importait. Catholique d’instinct, protestante par nécessité, qu’était-elle au vrai ? Une athée.

J’ai fini avec Elisabeth, et cependant je n’ai encore rien dit de Marie Stuart. Je voudrais n’en point parler, car, sur ce point, l’historien est en délire. Marie Stuart est catholique, elle est plus qu’à moitié Française : ce sont là des titres tout particuliers à la malveillance d’un élève de Carlyle. Aux yeux des gens modérés, il y a longtemps que Marie Stuart n’est plus ni une sainte, ni une diablesse, mais une femme très intelligente, très courageuse, très séduisante et très passionnée. Un amour indigne l’a conduite jusqu’à l’assassinat ; mais, avant comme après cette période criminelle, elle n’a fait que se défendre contre des ennemis qui ne la valaient pas. Elle n’eut pas l’ombre d’un tort envers Elisabeth, si ce n’est d’avoir parfois manqué de franchise avec une femme qui était elle-même l’incarnation du mensonge. Les torts d’Elisabeth envers Marie Stuart sont aussi variés que peut l’être la perversité humaine. Caresses hypocrites, basses tracasseries, pièges infâmes : ce que la jalousie a de plus amer et la méchanceté de plus raffiné. Quand elle la tient en son pouvoir, après l’avoir déshonorée de son mieux, elle la torture vingt ans. N’ayant pu la faire exécuter par ses propres sujets, ni assassiner par ses geôliers, elle signe l’arrêt de mort définitif, en feignant