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— le progrès accéléré dans l’anarchie. Voilà qui est clair avec les radicaux, à qui M. de Freycinet n’a rien à refuser, pas même la mairie centrale de Paris et bien autre chose encore ! — Si c’est la politique de modération et de réparation qui l’emporte, il faut sortir de toutes les ambiguïtés et accepter sans subterfuge les conséquences des idées qu’on a l’air de défendre. Il ne suffit pas de voir le mal. M. Jules Ferry le voit assurément, il a l’éloquence vigoureuse et même souvent sensée. Il s’est exprimé l’autre jour à Saint-Dié en homme qui ne méconnaît pas la gravité de la situation et la nécessité de refaire un gouvernement. Il a vertement et spirituellement parlé de cette prétendue concentration républicaine, qu’il appelle une opération chimique à l’aide de laquelle les modérés s’évaporent et le radicalisme reste seul au fond. Il s’est prononcé avec force pour une « politique de modération, de sagesse, de concorde et d’apaisement. » M. Rouvier tenait déjà le même langage à son avènement au pouvoir. M. Spuller s’épuise à parler de conciliation, de libéralisme, et il assurait, ces jours derniers encore à Chartres, que M. le président du conseil entendait rester fidèle à son programme, qu’il serait plus ferme que jamais.

Malheureusement, ce ne sont là souvent que des mots, et ce qu’il faut aujourd’hui, c’est un système de conduite net, précis, coordonné. M. Rouvier, M. Spuller, M. Jules Ferry, ont tout l’air de vouloir et de ne pas vouloir. Ils parlent sans cesse de la nécessité d’avoir un gouvernement, de s’occuper des affaires sérieuses, d’apaiser les esprits, et ils s’arrêtent au premier pas. Ils craignent toujours d’être suspects, ils n’osent pas même avouer leurs alliances avec les conservateurs. Le pacte, voilà le terrible fantôme! Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils ne peuvent réaliser ce qu’ils paraissent vouloir qu’en cherchant leurs alliés là où ils sont, parmi les modérés de toutes les nuances, qui sentent le prix et acceptent les conditions d’un vrai gouvernement; ils ne voient pas qu’ils ne peuvent avoir ces alliés qu’en faisant passer dans leurs actes comme dans leurs paroles une politique mettant l’économie dans les finances et l’équité dans l’administration, rassurant les sentimens conservateurs du pays, respectant les croyances, faisant sans esprit de parti et sans exclusion les affaires de la France. Toute la question est là ! Il faut choisir, et si on ne se décide pas, quand il en est temps encore, on risque de rouler de ministère en ministère jusqu’à une dissolution, — qui ne sera peut-être pas elle-même une solution.

Il n’est qu’heur et malheur dans les affaires du monde. Le moment certes, sous bien des rapports, n’est pas des plus favorables, et on ne peut pas dire que le temps qui, à ce qu’on assure, guérit tout, mette l’apaisement et la clarté dans l’état de l’Europe. Plus on va, au contraire, plus les obscurités, les difficultés, les défiances avouées ou inavouées semblent s’accroître sur notre continent fatigué d’agitations et de crises. L’incohérence est dans les rapports des grands états,