Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/940

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modéré, M. de Lezay-Marnésia, dont la manœuvre est plus dangereuse pour l’assaillant que toute la mitraille de l’abbé. Ce député de la province connaît son Rousseau; mais il le connaît si bien qu’il avertit ses collègues de ne pas se rappeler seulement le Contrat social et de consulter aussi la Lettre à d’Alembert sur les spectacles. « Il ne faut pas sans doute flétrir l’état de comédien, mais il ne faut pas l’honorer. On nous dit que ce sera les flétrir que les exclure de l’éligibilité, mais quelle apparence ! Vous auriez donc flétri aussi tous les citoyens qui n’ont pas de propriété territoriale, tous ceux qui n’auront pas assez de fortune pour payer une contribution directe d’un marc d’argent? Non, entre les honneurs et le déshonneur il y a l’estime, toujours accordée à qui s’en rend digne et que pourront obtenir les comédiens, lorsqu’ils résisteront aux séductions de leur état. » Le raisonnement était habile, la distinction délicate; mais la bonne volonté de l’Assemblée pour tous les hommes ne se laissa pas arrêter par cette fragile barrière. Un comédien (comme un juif) put désormais être magistrat, officier, représentant du peuple, aux mêmes conditions qu’un autre Français : à qui de droit, maintenant, de le nommer ou de ne pas le nommer.

Les bienfaits de la révolution n’allaient pas jusqu’à forcer les curés de marier les juifs : ceux-ci, par bonheur, ne s’en souciaient pas; mais les comédiens? Contre le curé de Saint-Sulpice, qui lui refusait son ministère, Talma, par une lettre à l’Assemblée nationale, « implora le secours de la loi constitutionnelle. » Il tombait mal : justement, à cette époque, l’Assemblée instituait le mariage civil. Le rapporteur établit nettement la théorie sur la matière : « Il faut séparer dans le mariage le contrat qui suffit aux yeux de la nation d’avec le sacrement où la nation n’a rien à voir. » Et l’Assemblée, d’après ces conclusions, renvoya Talma au diable. — Pour ce qui est de la sépulture, la question était réglée pareillement : l’inscription des décès et la police des cimetières étant remises à l’autorité civile, on pouvait mourir comédien et se faire enterrer ; l’Église avait donc le droit de garder son eau bénite.

Au demeurant une période commençait où la privation des sacremens, h moins qu’on ne fût religieux au fond du cœur, devait se gaillardement supporter: aller sans bénédiction, que l’on fût un marié ou un mort, n’était plus une indécence et n’avait en soi rien d’humiliant. Et pour cette incommodité, si c’en était une, que de compensations! Ce n’est pas que le brouhaha des bravos, dans ce grand bruit qui s’élevait sur le pavé des villes et aux frontières, pût éclater aussi glorieusement que dans la paix de la monarchie : une maladie de Molé, pendant les massacres de septembre, eût moins ému l’opinion qu’au printemps de 1707; le peuple français attendait d’autres débarquemens sur ses rivages que celui de la Saint-Huberty. Mais on profilait tout