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Le règlement du 23 mars 1778, pour la nation de Smyrne, est sur ce point un précieux document. La nation se réunit en assemblées présidées par un syndic et convoquées par lui. Le syndic est élu à la pluralité des voix et révoqué par l’assemblée, s’il donne quelque sujet de plainte. Toutes les délibérations sont prises à la majorité, après libre discussion ; elles sont consignées sur un registre syndical paraphé par le consul, et exécutoires pour tous les membres de la nation. Telle était dans ses traits essentiels l’organisation des nations françaises du Levant. Elle donnait à chacune d’elles une force compacte pour lutter, suivant les expressions du comte des Alleurs, ambassadeur à Constantinople en 1753, « contre les obstacles que produisent la diversité des génies et des opinions, le caractère particulier des Turcs, de jour en jour plus avides et plus éclairés, la concurrence de nos rivaux et les manœuvres de nos ennemis. » Toutefois, le consul conservait une autorité prépondérante même sur la vie privée des résidens, dont il réglait jusqu’aux dépenses somptuaires, leur interdisant d’employer des draps anglais ou d’autres étoffes étrangères, au détriment du commerce français. L’action du consul n’était pas soutenue uniquement par celle de l’ambassadeur ; elle l’était encore par l’autorité d’inspecteurs royaux, envoyés à l’improviste pour contrôler l’exécution des lois et règlemens dans chaque nation. Ces inspecteurs étaient fort redoutés des mauvais marchands et fort appréciés des bons.

Il est certain que plus d’une mesure édictée de 1650 à 1789 est incompatible avec les idées de nos jours, avec ce que nous nommons la liberté commerciale. Il n’en est pas moins vrai que l’ensemble des règlemens et des édits royaux avait donné à notre pays une situation hors ligne dans le Levant ; cette prépondérance, constatée par l’histoire dans les relations diplomatiques de la France avec la Turquie, est bien mieux attestée par les tableaux des échanges. Les documens consulaires de Smyrne, en 1789, donnent pour cette Echelle un trafic total, exportation et importation, s’élevant à 22 millions 1/2, chiffres ronds, pour la France seule, et à 53 millions pour tous les pays réunis. Ainsi, la France représentait à elle seule 42 1/2 pour 100 du commerce total de Smyrne avec le reste du monde. Les 57 1/2 restans étaient partagés entre les autres peuples commerçans, Italiens, Hollandais, Autrichiens, Anglais, Russes, Espagnols. Si le lecteur veut retenir ces chiffres, il pourra les comparer avec ceux qui vont suivre, et se rendre compte du changement survenu depuis 1789 dans la situation de la France au Levant.

Vers 1789, il y avait à Smyrne vingt-neuf grandes maisons de