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dans l’annexion ; nous avons abandonné l’Épire. En Crète, le gouvernement de Napoléon III a tour à tour négligé, encouragé, puis déconcerté ceux qui réclamaient l’indépendance. L’an dernier, si nous avions engagé le roi George à dire un mot, un seul, la Turquie cédait la Crète, et nous donnions une force plus grande à notre seul allié fidèle et dévoué dans la Méditerranée. Dans les affaires de la Bulgarie, qui peuvent amener la Russie à Constantinople ou les Autrichiens à Salonique, ne sachant quel parti prendre, nous ne prenons aucun parti, nous nous déclarons désintéressés dans la question, et nous nous retirons. Ainsi, nous n’avons en Orient aucune politique ; nous n’y avons ni maxime d’état, ni théorie d’aucune sorte, et nous y laissons les choses aller comme elles peuvent. On ne saurait toutefois s’en prendre à nos ambassadeurs, ni à nos ministres plénipotentiaires. Lisez le Livre jaune que le gouvernement publie chaque année, vous y constaterez que les plus haut placés de ces diplomates n’agissent qu’en sous-ordre, et que la décision vient toujours du gouvernement central siégeant à Paris. Mais ce gouvernement lui-même n’est pas libre ; il dépend d’une majorité parlementaire flottante, il est sur les vagues de la mer, et n’a pas jusqu’à présent possédé l’huile qui les pourrait calmer; il est à leur merci sans phare et le plus souvent sans gouvernail. Les ministères sombrent les uns après les autres. Ce n’est donc pas aux ministres seulement qu’on peut reprocher le manque de politique ; c’est encore et surtout aux chambres. N’entrons pas plus avant dans ce sujet, dont un long séjour en Orient nous a fait sentir plus d’une fois les tristesses ; laissons de côté une politique qui n’existe pas, et envisageons seulement la situation économique de la France dans le Levant.


I.

Ce dernier nom est la traduction du mot grec Anatolie; l’Anatolie est ce qu’on nommait autrefois Asie-Mineure. Le mot Levant ne s’applique ni à la Turquie d’Europe, ni à la Syrie, ni à l’Egypte, non plus qu’aux rivages de la Barbarie. L’Asie-Mineure ou Anatolie est en grande partie comprise dans la province de Smyrne ; car celle-ci réunit dans son seul vilayet les anciennes provinces de Phrygie, de Lydie, de Galatie, d’Ionie, de Pisidie, de Doride, de Lycie. On en trouvera la description dans tous les livres de géographie, notamment dans l’ouvrage de M. Elisée Reclus, qui donne sur sa topographie et ses produits un bon recueil de documens.