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luxe de précautions contre les conseils ! En dépit de leur morcellement, qui devrait rassurer, on poursuit en eux les membres épars de l’hydre révolutionnaire, et on interdit aux tronçons de se rejoindre. Tout conseil convaincu d’avoir correspondu avec les autres est frappé de suspension (loi de 1831, art. 30), et les conseillers condamnés judiciairement. En dehors des quatre sessions annuelles, toute délibération est nulle, si elle n’est expressément permise par l’autorité supérieure (art. 28 et 29). Défense est faite aux conseils de créer dans leur sein des commissions permanentes pour l’expédition des affaires. Les discussions auront lieu à huis-clos, comme les débats d’une affaire scabreuse en cour d’assises : ne faut-il pas éviter de satisfaire la curiosité maladive du public? Et nous ne parlons point de la filière administrative, des restrictions sévères et compliquées qui atteignent les délibérations elles-mêmes. Réellement, c’est le régime cellulaire appliqué aux communes de France. On ne serait pas plus rigoureux pour les ramifications d’une société de carbonari. L’usage le plus légitime du droit d’association, son application séculaire aux intérêts primordiaux de la société, ce der- nier asile de la liberté locale, que tolère le sultan et que favorise le tsar, voilà ce que la France parlementaire a supporté difficilement. Il est vrai que cette même nation, la plus sociable du monde, s’est vu interdire, pendant de longues années, les associations de plus de vingt personnes. Et l’on s’étonne que les Français ne sachent pas se concerter !

Aujourd’hui, voici le point où nous en sommes : la plupart des conseils savent vouloir, s’ils ne savent pas délibérer. Tous, même les plus petits, ont chacun leur caractère : il y en a de hargneux et de dociles, de turbulens et de paisibles, d’entreprenans et d’inertes. Par exemple, il y a des villages où le conseil est, pour ainsi dire, tombé en quenouille : les hommes, bûcherons, matelots, calfats ou compagnons nomades, sont presque tous absens. Il ne reste que les vieux ou les infirmes, qui subissent entièrement la loi des femmes. Celles-ci ont une manière à elles de comprendre l’administration et de protéger le foyer domestique; il leur est arrivé d’accueillir l’agent du fisc comme le seigneur Basché, dans Rabelais, recevait les huissiers : à coups de balai. Il y a des conseils loquaces, qui envoient à la préfecture des kilogrammes de papier administratif. D’autres, muets comme des carpes, enfantent péniblement un griffonnage informe. En général, dans les quatre ou cinq cents villages qui forment la plèbe des départemens, les délibérations sont pitoyables dans la forme, assez raisonnables au fond. Le paysan évite la discussion, car il n’y brille pas. Mais les résolutions à prendre, quelquefois le plébiscite qui doit renverser le maire, ont été préparés par de longues