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sont rejetées, « parce les pays de Combrailles et du bas Bourbonnais présentent une surface insuffisante. » Châlons sera provisoirement le chef-lieu du département de la Marne; mais les électeurs décideront, dans la première assemblée, « si cette ville doit alterner avec Reims. » De même, on abandonne aux assemblées locales le choix du chef-lieu entre Soissons et Laon. La situation si bizarre de Redon, à l’extrémité d’Ille-et-Vilaine, est proposée par les députés de Bretagne, et motivée sur les relations commerciales. Pendant quelque temps, les départemens ont porté le nom de la ville la plus considérable. On disait : le département d’Amiens, celui de Douai ! et si le décret du 26 février 1790 donne la préférence au nom tiré des circonstances géographiques, c’est « pour éviter d’attribuer la suprématie à une ville sur les autres. »

Ainsi l’œuvre de la constituante est une transaction longuement méditée entre les traditions historiques et les besoins nouveaux. Loin d’imposer à la France une division abstraite et rigide, elle s’est bornée à poser le principe d’une division commode, et elle en a confié l’exécution aux intéressés eux-mêmes. L’œuvre de ces comités a subi une enquête, dans laquelle toutes les parties ont été entendues : patience d’autant plus remarquable que cette question primait toutes les autres, et particulièrement la question électorale. En prenant pour base et pour mesure de la nouvelle répartition du sol l’importance des cités, en tenant compte de leurs réclamations raisonnables, on faisait un acte à la fois conservateur et libéral. Respecter la cité, c’était assurer à la vie locale l’asile antique derrière lequel elle avait déjà bravé une monarchie envahissante, et qui devait la sauver encore, soit des tempêtes révolutionnaires, soit des prétentions despotiques de l’état contemporain.

Cette organisation méritait de vivre, et elle a vécu. Depuis cent ans, le département est entré dans nos mœurs. Il a précisément le degré de vie que comporte sa situation intermédiaire entre les intérêts généraux et les intérêts locaux. Il suffit, pour s’en rendre compte, de le comparer aux autres circonscriptions administratives. L’arrondissement, trop petit, dominé par les querelles de clocher, est presque un organe atrophié dans notre système. Les grands commandemens militaires, qui embrassent plusieurs départemens, les préfectures maritimes, les régies forestières, les ressorts des cours d’appels, ne sont que des circonscriptions taillées pour des besoins spéciaux. Elles ne correspondent à aucun groupe naturel des habitans. L’église elle-même, si tenace dans ses traditions, après avoir défendu longtemps les dix-sept provinces ecclésiastiques qui partageaient l’ancienne Gaule, a dû se plier à la vie départementale.