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comme organe administratif, aux causes multiples qui l’avaient fait naître, et que ces découpures bizarres et inégales se seraient effacées avec les dernières traces du régime féodal, pour donner place à des divisions plus commodes. Elles n’avaient même pas toujours le mérite d’associer entre elles des populations de même origine. On voit, par les délibérations de la constituante, que le Forez répugnait beaucoup à s’unir avec le Lyonnais et le Beaujolais : cependant ces trois pays formaient depuis longtemps une seule généralité. Si l’on poussait jusqu’au bout le raisonnement, ce n’est pas chaque province, c’est chaque terroir qu’il faudrait ériger en un gouvernement séparé : on aurait alors quatre ou cinq cents départemens, qui s’appelleraient le Vexin, la Brie, le Morvan, le Gâtinais, etc. Voilà des dénominations qui correspondent à la configuration du sol et à des relations intimes entre les habitans. Elles subsistent encore aujourd’hui dans les habitudes locales : on n’a pas cessé de distinguer le pays de Caux de la Basse-Normandie, le pays Basque de la Gascogne, le Bocage du Marais vendéen. Oserait-on cependant proposer un aussi absurde fractionnement du sol? L’administration est-elle faite pour l’administré, ou bien le fétichisme historique ira-t-il la convertir en un musée des curiosités nationales? Le législateur ressemblerait alors à ces admirateurs fanatiques de l’antiquité romaine, qui poussent des cris lorsqu’on arrache un brin d’herbe sur une ruine, et laisseraient périr un monument sous les ronces plutôt que de le restaurer. De même des provinces : respectons le souvenir très tenace qu’elles ont laissé dans la mémoire du peuple ; mais admettons qu’il a fallu les déblayer, les accommoder aux nécessités modernes, percer ici une porte, là une fenêtre, et convertir en demeures confortables, en appartemens bien proportionnés à notre taille, les grands palais princiers d’autrefois, dont les murs moisis étaient devenus inhabitables.

C’est ce travail d’assainissement que la constituante a entrepris ; et elle s’en est acquittée avec un talent, une modération, une justesse de coup d’œil auxquels on n’a pas suffisamment rendu justice. Aucune résolution n’a été mieux mûrie ni plus éloignée d’un rationalisme abstrait. Thouret disait, le 3 novembre 1789 : « Ces affections d’unités provinciales ne seront même pas attaquées, puisque les provinces ne cesseront pas d’exister comme telles. » Il avait raison : on a découpé la province, on ne l’a pas détruite. Elle se reforme, pour ainsi dire, sur chacun des grands intérêts régionaux qui groupent les départemens. Dans notre unité, la Normandie, la Provence, la Picardie, n’ont pas cessé d’avoir une physionomie distincte. Mirabeau était plus explicite encore : « Je voudrais, disait-il, une division matérielle et de fait, propre aux