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L’anarchie ne se fit pas attendre. Dès l’année 1790, on supplie les communes de ne pas aller si vite, et de ne toucher qu’avec prudence au régime des hôpitaux. Elles firent de tels dégâts dans les forêts et se livrèrent à de telles violences contre les gardes « des maîtrises » que le rapport officiel qualifie ce désordre d’effrayant. Quelques-unes d’entre elles engagent de folles dépenses, surtout à l’époque de la fête de la fédération : elles imitent ces seigneurs de la cour de François Ier qui portèrent au camp du drap d’or le prix de leurs moulins et de leurs fermes sur leurs épaules, avec cette différence que leurs prodigalités appauvrissent surtout les caisses publiques dont la surveillance leur est confiée : une loi intervint, en décembre 1790, pour les forcer à restituer les deniers de l’état. En 1792, il faut un décret contre les empiètemens des municipalités pour leur défendre « de donner des ordres et d’envoyer des commissaires hors de leur territoire. » Puis c’est la procession interminable des délégations qui se rendent à Paris : la même année, nouveau décret pour renvoyer chez elles les députations plus ou moins extraordinaires et permanentes des municipalités « auprès du roi et du corps législatif. » L’assemblée nationale ne sait plus par quelle formule faire rentrer sous terre les esprits qu’elle a évoqués. L’erreur capitale était d’avoir voulu créer, entre des corps élus nombreux, peu contrôlés et très envahissans, une hiérarchie uniforme qui n’est possible qu’entre des fonctionnaires. On voulait faire de la centralisation spontanée : une grande somme de liberté locale n’est praticable qu’à la condition de distinguer nettement entre les attributions de l’état et celles des communes. On voit, par le décret du 15-27 mars 1791, les conséquences de cette anarchie : insubordination des corps les uns envers les autres, ingérence illégale dans les affaires de l’armée, refus des municipalités de fournir les renseignemens qui leur sont demandés, et maint autre abus qu’on entrevoit derrière la réserve du langage officiel, voilà le mal. Envoi de commissaires pour réprimer les troubles dans les assemblées des communes; suspension individuelle ou collective des corps du département; révocation du procureur-syndic et des administrateurs de district par le conseil départemental, voilà les palliatifs incohérens qu’on essaie d’employer. Mais le désordre augmente, les événemens se précipitent, la Convention tranche dans le vif, et le 26 octobre 1793 paraît un décret qui sursoit à l’élection des municipalités.

Telle est la partie caduque de l’œuvre de la constituante. Voici maintenant celle qui a duré : nous pouvons discerner plus nettement, à cent ans de distance, les solides assises qu’elle a posées au-dessous de la surface agitée de l’histoire. Ce sont d’abord tous