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ces cultivateurs vêtus de leurs plus beaux habits, qui accompagnent leurs femmes jusqu’à la porte de l’église et qui, au lieu d’entrer, restent sur la place à causer de leurs affaires? Ils n’obéissent pas au désir de faire une manifestation laïque, car cette sorte de congrès dominical se tient de préférence dans nos plus pieuses provinces, et le clergé ne s’en montre nullement scandalisé. Mais ces hommes font comme leurs pères, qui délibéraient des affaires communes au dehors, tandis que les femmes priaient au dedans. Ils ne sont guère plus qu’une vingtaine aujourd’hui. On dirait les âmes en peine des paysans du XVIe siècle, cherchant la trace de leurs anciennes libertés.

Il vint un temps où les communautés rurales durent compter avec le représentant du roi, de plus en plus puissant. Elles passèrent de l’âge d’or à l’âge de fer. Mais ce fut aussi pour elles l’occasion d’un utile apprentissage. Sous la tutelle bénévole du clergé, leur vie devait être passablement rudimentaire. De vastes territoires couverts de métairies n’étaient pas même organisés. Ceux dont le royaume n’est point de ce monde n’ont aucune raison de pousser les autres à la conquête des biens terrestres. Ils pensent qu’on doit être content de son lot, s’effacer, vivre entre son bœuf et son âne ; que toute réunion nombreuse est une occasion de pécher en paroles ou en actions, et que l’ambition de mener ses semblables est un piège du malin. Aussi reconnaît-on encore les villages qui ont grandi dans le voisinage de quelque abbaye, sur bonne terre ecclésiastique : les chaumières y ressemblent à des ermitages. Comme le principal but des peuples n’est pas de se préparer à la mort, il est fort heureux que les gens du roi très chrétien aient secoué cet engourdissement béat. Ils venaient d’ailleurs avec les intentions les moins édifiantes. Ce serait leur faire trop d’honneur que de leur prêter le désir de contribuer à l’éducation des campagnes. Mais ils avaient besoin d’argent; et au seul bruit de leur pas, l’argent disparaissait dans toutes les cachettes de ces habitations dispersées. Les rats se faisaient tout petits et rentraient dans leurs trous. Faute de responsabilité collective, on ne savait où frapper. C’est alors qu’on inventa les syndics ruraux, et que, pour les mieux tenir, on les déclara perpétuels. Les paysans votèrent d’abord sans enthousiasme, et les syndics acceptèrent de mauvaise grâce, sachant de quoi il retournait. Mais on ne leur demandait pas leur avis. De fait, la position n’était pas séduisante : il fallait répondre pour toute la commune, contenter le seigneur du lieu, obéir aux ordres du subdélégué, surtout faire rentrer la taille; et, au bout du compte, on n’était pas sûr de ne point attraper des amendes ou la prison. Il y avait de grosses peines contre les syndics récalcitrans. On avait des devoirs et point de droits. Aussi la recommandation faite aux syndics de ne pas vendre leur