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comme aussi plus tard sa fureur. Les archives de toutes nos villes sont pleines de ces vieilles gravures où le faste local se marie avec complaisance aux pompes de la monarchie. Les cités, comme les individus, subissaient la fascination du pouvoir et faisaient acte de courtisan. Comme les personnes aussi, elles gardaient leur liberté de jugement. On le vit bien lorsque toutes les communes de France rédigèrent leurs cahiers. Cet exposé des griefs de la nation n’était point une pancarte incolore, composée par quelques philosophes de cabinet. C’était une série d’œuvres collectives, indépendantes, variées, et en quelque sorte municipales. Les villes étaient si vivantes qu’elles se chargèrent déporter jusqu’au pied du trône les vœux de la nation, et qu’elles rédigèrent le programme de la révolution. Il y aurait un curieux chapitre d’histoire à écrire sur leur rôle pendant la période révolutionnaire. On y verrait que les Français, loin d’avoir perdu l’habitude de se grouper autour des intérêts locaux, loin de sacrifier uniquement à une idole abstraite, subirent à l’excès les influences régionales et l’impulsion trop exclusive des grandes villes. Les constitutionnels ne les trouvaient que trop actives, et Malouet en parlait « comme de maux nécessaires. » On put voir, dans tous les cas, qu’elles n’étaient ni mortes ni languissantes.

Et les campagnes? étaient-elles, sous l’ancienne monarchie, complètement dépourvues de vie locale? De récentes recherches ont prouvé le contraire. Les rustres s’assemblaient à son de cloche sur la place, devant l’église, et souvent, lorsqu’il pleuvait, dans l’église même : ce qui devait faire un beau vacarme. Il ne s’agissait pas d’un paisible conseil mené par son maire : tous les habitans étaient de droit membres de l’assemblée; procédé sauvage, mais conforme à la doctrine la plus pure du gouvernement du peuple par lui-même. On sera peut-être étonné d’apprendre que ces étranges réunions, si éloignées de la correction du grand siècle, ne disparurent que deux ans avant la révolution française. Turgot, à qui elles avaient sans doute rompu la tête dans son intendance du Limousin, déclarait qu’elles étaient « trop nombreuses, tumultueuses et déraisonnables. » Un édit de juin 1787 leur substitua des conseils élus. Il admettait cependant la possibilité de convoquer la grande assemblée dans certains cas extraordinaires. On ne s’attendait guère à trouver, derrière la centralisation si redoutable de notre ancienne monarchie, un régime analogue à celui de la commune américaine. Quant aux réunions en plein air, je ne sais trop s’il faut les regretter. Mais certainement il y a chez nos paysans un instinct obscur, une sorte d’atavisme qui les ramène à l’endroit où délibéraient leurs ancêtres. N’avez-vous pas remarqué dans nos campagnes, le dimanche,