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impériales reviennent plusieurs fois, chaque année, fournir l’occasion de solennels panégyriques. C’est ainsi que l’un des plus renommés prédicateurs de l’empire, Mgr Ambroise, archevêque de Kharkof, célébrait, en 1 887, l’anniversaire du couronnement d’Alexandre III par un discours sur les « devoirs des sujets. » Ce n’était assurément pas là un sujet neuf pour un auditoire russe. Pierre le Grand, tout en montrant peu de confiance dans les talens oratoires de son clergé, lui faisait déjà recommander, par son règlement spirituel, de prêcher sur le respect dû aux autorités, et spécialement à la « suprême autorité du tsar. »

La chaire russe a beau regarder souvent la terre en parlant du ciel, la religion et le clergé ont tout profit au renouvellement de la prédication dans l’église. Pour avoir été longtemps sevré de sermons, le peuple russe, avec sa gravité naïve, n’en a pas moins le goût de ce genre solennel. Aucun clergé ne s’adresse à un public aussi avide ou aussi respectueux de la parole de Dieu. Les prédicateurs en renom y trouvent des lecteurs non moins que des auditeurs. Aussi les recueils de sermons ne font-ils plus défaut. A Pétersbourg, une collection de discours prononcés à Saint-Isaac était, en quelques semaines, répandue à des centaines de milliers d’exemplaires. Aux sermons le clergé a ajouté, dans les grandes villes, des lectures, des conférences, voire des colloques contradictoires qui attirent nombre de curieux. Le clergé, sorti de sa torpeur séculaire, commence à prendre part aux luttes de la vie nationale. Avec le glaive de la parole, il a retrouvé l’arme propre du prêtre ; elle peut l’aider à reconquérir l’autorité qui lui manque. Si jamais le pope recouvre quelque ascendant sur le peuple, ce sera par là. Malheureusement, le caractère officiel du clergé, la constitution bureaucratique de la hiérarchie, les liens étroits qui la rattachent à l’état, l’espèce de monopole religieux dont l’église est investie, sont peu faits pour en rehausser l’autorité morale ou gagner à ses ministres la confiance des peuples.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.