Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur clergé, des laïques ont conseillé d’abandonner aux paroisses le choix de leur curé. Cette idée a trouvé faveur dans certains cercles, à Moscou surtout. Des écrivains à tendances slavophiles se sont attachés à démontrer que l’élection des curés était conforme aux coutumes nationales et aux canons de l’église. Loin d’être une innovation, le choix des pasteurs par leurs ouailles ne serait en Russie qu’un retour aux anciens usages. Il est vrai que l’élection des membres du clergé donnait souvent lieu à des scandales dont témoignent les conciles moscovites du XVIe et du XVIIe siècle. Les candidats aux postes ecclésiastiques achetaient parfois les voix des électeurs. La coutume d’élire le curé se serait maintenue plus longtemps dans la Petite-Russie que dans la Grande. On en trouverait des traces, dans le diocèse de Kief, jusque vers 1840. Au cœur même de la Grande-Russie, le célèbre métropolite Platon aurait encore, sous Alexandre Ier, reconnu aux paroisses le droit de lui présenter un candidat aux cures vacantes.

Le zemstvo de Moscou avait demandé, en 1880 et 1884, que le droit d’élection, ou au moins de présentation, fût rendu aux paroisses. D’autres assemblées provinciales s’étaient prononcées dans le même sens. Cette intervention des zemstvos, le saint-synode l’a blâmée par la bouche du haut-procureur, comme un empiétement des autorités laïques sur le domaine de l’église. D’après la vénérable assemblée, si l’église laissait autrefois les paroisses désigner leur pasteur, cela tenait à l’insuffisance du nombre d’hommes instruits connus des évêques. Il n’en est plus de même aujourd’hui que les séminaires forment la pépinière naturelle du clergé; l’élection des curés ne serait, à en croire le saint-synode, qu’un retour aux temps d’ignorance[1]. Cette objection n’a pas convaincu les partisans de l’élection ; ils répondent aux chefs de la hiérarchie que le choix des paroisses pourrait être limité aux candidats ayant achevé leurs études théologiques. En fait, les assemblées de villages ou de volost, qui se croient en droit de donner leur avis sur tout ce qui intéresse la commune, se permettent parfois de demander la nomination ou le renvoi d’un prêtre. Le ministère de l’intérieur, d’accord avec le haut-procureur, a, en 1887, interdit aux assemblées de paysans de s’immiscer dans de pareilles questions.

L’avantage de l’élection des prêtres, ce serait, en intéressant le peuple au choix de ses pasteurs, de le rapprocher du clergé. Ce rapprochement, on l’a poursuivi par d’autres moyens; ainsi, notamment, par la création des curatelles paroissiales (prikhodskiia popetchitelstva). L’un des appas des sectes pour l’homme du peuple, c’est que les adhérons du raskol sont membres d’une communauté

  1. Compte-rendu du haut-procureur pour 1884 (déc. 1885).