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prêtre en question ait suivi le conseil épiscopal. Pour la plupart des popes, la prêtrise n’est qu’une carrière qu’ils ne se font pas scrupule d’exploiter de leur mieux.

Les exigences pécuniaires du clergé sont si connues que, en mainte contrée, elles constituent un obstacle au progrès de l’orthodoxie. « La toi russe est trop chère, » répondent aux convertisseurs certains indigènes de Sibérie. « Le pope est trop avide, disent de leur côté les raskolniks ; les sacremens sont trop dispendieux. » Cette considération toute matérielle n’a pas été étrangère au succès de quelques-unes des sectes les plus récentes, les stundistes, par exemple. Plus d’un moujik en est venu à se persuader de l’inutilité des sacremens, à la suite d’une dispute avec le prêtre sur le prix d’une cérémonie. L’un des sectaires les plus en vue de cette fin de siècle, Soutaïef, n’avait pas débuté autrement.

Les fléaux physiques, la sécheresse, les épidémies, sont, pour le pope rural, autant d’occasions de profits. J’ai ainsi vu, dans le Midi, le clergé bénir successivement les melons de chaque paysan. Parfois, quand elles n’obtiennent pas le résultat désiré, les prières de l’église se retournent contre ses ministres. Le moujik les accuse de lui avoir fourni de mauvaises oraisons ou d’avoir mal accompli les rites. Dans une commune du gouvernement de Voronèje, comme la sécheresse ne finissait point, les paysans imaginèrent d’immerger le prêtre dans la rivière. D’ordinaire, c’est pour les sorcières qu’ils réservent ce suprême argument; mais, entre le magicien et le prêtre, entre les incantations de l’un et les invocations de l’autre, l’obscure intelligence du moujik ne fait pas toujours grande différence, d’autant que prêtre et sorcier lui offrent à peu près le même genre de secours, à des conditions analogues. La pauvreté du clergé l’oblige à se prêter à des pratiques peu dignes de l’église; elle fait quelquefois de lui le complice des superstitions populaires. C’est ainsi que s’est perpétué longtemps l’usage d’emporter des prières dans un bonnet pour les femmes en couches. Le paysan tendait son bonnet fourré (chapka) pour que le prêtre pût y réciter ses oremus. La prière dite, il fermait avec soin le bonnet pour ne pas la laisser échapper, et la transmettre intacte à l’accouchée, sur la tête de laquelle il la répandait en agitant sa chapka. Cette coutume, condamnée par le Règlement spirituel de Pierre le Grand, a, dans certaines contrées, persisté jusqu’à nos jours. On comprend la faiblesse du pope vis-à-vis de superstitions dont il vit.

Il faut se garder de croire que ces faiblesses enlèvent à l’humble clergé rural tout sentiment de sa haute mission. Les fonctions du prêtre se ravalent trop souvent pour lui à l’accomplissement mécanique des rites et de la liturgie ; mais ces rites, il les célèbre avec la conscience de leur valeur religieuse et morale. Le pope est d’ordinaire