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chiffons de papier, au lieu de pièces d’argent ou de billets de banque. Si le nouveau système est plus conforme à la dignité du prêtre, il est assurément moins favorable à ses intérêts. Aussi est-il douteux qu’il puisse être maintenu ou étendu à toutes les paroisses. À plus forte raison ne saurait-on supprimer la rétribution perçue par le prêtre pour les autres sacremens.

Si le Russe du peuple recourt souvent aux services du pope, il les rémunère chichement : pour les principales cérémonies, à peine donne-t-il un ou deux roubles ; pour les plus petites et les plus fréquentes, quelques kopeks (centimes du rouble). La multiplicité de ces redevances peut seule dédommager le clergé de leur modicité ; aussi n’en néglige-t-il aucune. Il tend à se transformer en agent financier, en collecteur de taxes. Tout se paie, et le plus souvent rien n’a de tarif. La misère besogneuse du pope doit le disputer à l’avare pauvreté du moujik. Pour une cérémonie, pour un mariage ou un enterrement, on négocie, on marchande, comme on ne marchande plus qu’en Russie. De là toute sorte d’anecdotes, de contes, de légendes. Une fois, c’est un pope qui, pour se venger de la ladrerie du père, donne à l’enfant qu’il baptise un nom ridicule. Une autrefois, c’est un paysan qui demande à son curé l’autorisation de se marier dans une autre paroisse. « c’est fort bien, répond le ministre de Dieu, mais as-tu calculé ce que me coûte ton départ ? D’abord je t’aurais marié ; soit tant de roubles. Puis, tu auras des enfans ; mettons sept : cela me ferait sept baptêmes. Puis, plusieurs de tes enfans viendront à mourir ; mettons trois : cela me ferait trois enterremens. Puis tu auras des fils ou des filles à marier ; mettons quatre : cela me ferait quatre mariages. — Mais, batiouchka, réplique le paysan, tu es déjà vieux, tu pourrais mourir avant tout cela. — C’est vrai, mon ami, riposte le pope, nous sommes tous mortels ; aussi je ne le demanderai que dix roubles. »

La rapacité du clergé a fourni la matière de plusieurs contes populaires. Ces skazki montrent quelle opinion l’impitoyable levée du casuel a donné du pope au moujik. Pour juger des sentimens d’un peuple à l’égard de ses prêtres, on ne saurait, il est vrai, s’en fier à ses contes ou à ses proverbes. Monastique ou séculier, le clergé a partout été en butte aux traits de la satire populaire. Ce qui distingue la raillerie russe, c’est son âpreté. En voici un exemple d’après un conte recueilli par Afanasief. Un pope, c’est là chose commune, a refusé de célébrer les funérailles d’une femme pauvre. Le mari, en creusant lui-même la tombe, découvre un trésor ; il porte une pièce d’or au prêtre. Aussitôt les prières sont dites ; le pasteur, tout changé, assiste au repas mortuaire ; il y mange et boit comme trois personnes. La richesse du festin servi