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champs venaient s’ajouter des potagers, des prairies, quelques bois.

Les diocèses de la Russie centrale sont souvent moins favorisés. Dans un village du gouvernement de Voronèje où j’ai séjourné, à Kourlak.[1], sur le Bituk, l’église possédait 12 désiatines ; la moitié, c’est-à-dire 6 désiatines, revenait au prêtre; le quart, autrement dit 3 désiatines, revenait au diacre; et le reste, soit 1 désiatine 1/2 par tête, formait le lot des deux chantres ou sacristains. Comme point de comparaison, il est bon de dire que, dans toute cette région, la part de terre attribuée à chaque paysan par le statut d’émancipation dépassait les 6 désiatines du pope. Quant au pomechtchik, à l’ancien seigneur qui me donnait l’hospitalité, son domaine n’avait pas moins de 40,000 hectares; il lui fallait des relais pour aller d’une extrémité à l’autre de ses champs.

Prêtres et diacres ont beau jouir de tant et tant de désiatines, ce leur est souvent une mince ressource dans un pays peu peuplé, où parfois la terre n’a de valeur qu’autant qu’on la peut cultiver soi-même. Les paysans prêtent d’ordinaire au pope un travail gratuit, mais insuffisant. Souvent le prêtre est réduit à mettre lui-même la main à l’ouvrage. A Kourlak, par exemple, le pope cultivait la moitié de ses 6 désiatines et louait l’autre. La principale ressource du clergé n’est pas là, elle est dans les cérémonies religieuses, dans le casuel. Il y a, dans chaque paroisse, deux, trois, quatre familles, souvent vingt ou vingt-cinq personnes, à vivre de l’autel. Tout ce monde pourrait encore trouver là un revenu suffisant, si le produit de chaque église était abandonné à son clergé. Or il n’en est point ainsi : certaines aumônes, certaines taxes ecclésiastiques sont réservées aux caisses du diocèse ou du synode.

Dans les églises orthodoxes, chez les Grecs comme chez les Russes, une des branches de revenus les plus régulières est la vente des cierges : cette vente se peut comparer à la location des bancs ou pews en Angleterre et des chaises en France. Les orthodoxes, qui ne s’assoient point pendant les offices et prient d’ordinaire debout, n’entrent guère dans la maison de Dieu sans acheter à la porte un petit cierge qu’ils laissent à l’église ou qu’ils brûlent devant une image. Les dévots en allument à la fois devant plusieurs saints. La pâle lueur des cierges remplace devant les icônes la prière qu’elle symbolise. L’église tient à la pureté de la cire, dont l’odeur ambrée doit se mêler au parfum de l’encens ; on veut qu’elle soit fabriquée par les ouvrières ailées auxquelles le Seigneur en a confié le soin. Dans cette Russie où le peuple boit encore de l’hydromel, et où tant de terres n’ont jamais porté que des fleurs sauvages, les ruchers

  1. Ce village était relativement pauvre de terres, les paysans n’ayant reçu, lors de l’émancipation, que le quart de lot gratuit.»