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des serfs, les facilités morales et matérielles laissées au moujik ont prodigieusement développé les pèlerinages. Il y a une vingtaine d’années, Kief s’enorgueillissait de la visite de deux cent mille pèlerins. Les savans s’effrayaient, pour la santé publique, de ces agglomérations d’hommes à certaines fêtes. Comme dans les grands pèlerinages de l’Inde, de la Perse, de l’Arabie, on faisait remarquer que, en Europe, le choléra semblait parfois avoir pris son point de départ, à Kief, parmi les pèlerins. Aujourd’hui, le nombre des pieux visiteurs des catacombes de Petchersk a quadruplé et quintuplé. Kief est devenu le premier pèlerinage du monde chrétien, si ce n’est du globe. En certaines années, en 1886 notamment, la ville sainte de Dniepr a compté, assure-t-on, près de 1 million de pèlerins, qui tous ont acheté un cierge et laissé une obole.

A Saint-Serge, de même qu’à Petchersk, l’affluence est telle qu’à certaines solennités les cierges finissent par manquer. Il arrive aux moines de Troïtsa de revendre cinq fois de suite le même cierge aux pèlerins qui viennent prier sur la tombe de saint Serge. La vente des croix et des saintes images, fabriquées à la laure, est une autre source de revenu. Ces pieux souvenirs ne sont cédés aux fidèles qu’avec un bénéfice de 100 ou 200 pour 100. Les aumônes perçues pour la remise du pain bénit (prosfora) rapportent à Troïtsa de 80,000 à 100,000 roubles par an. Vers 1870, le même monastère ne tirait de ses prosfory qu’une trentaine de mille roubles, et, vers 1830, qu’un millier. On voit la progression. Il y a, en outre, le produit des messes dites à la fois, à toute heure, dans les douze églises de la laure, et des Te Deum ou des Requiem chantés devant la châsse de saint Serge. Un tiers est prélevé par le métropolite ; le surplus revient au couvent. Les moines ont le produit des Te Deum chantés par eux devant d’autres reliques ou d’autres images, et la piété des marchands de Moscou ne les laisse pas chômer.

Les grands monastères ont encore une autre source de revenus : ce sont les auberges et les buffets établis à leurs portes et loués par les moines aux industriels qui les exploitent. A Troïtsa, les hôtelleries de la laure hébergent ainsi des milliers de personnes. Il est vrai qu’à Troïtsa même, à Petchersk et dans nombre de couvens, les pèlerins pauvres reçoivent une hospitalité gratuite, ou bien, comme à notre Grande-Chartreuse, les voyageurs laissent en partant une aumône à leur convenance. Dans quelques monastères, les pèlerins ne se contentent pas d’une courte visite. Il en est qui, pour accomplir un vœu, y font une longue station. A Solovetsk notamment, sur les dix ou quinze mille passagers qui profitent du court été d’Arkhangel pour atteindre en bateau la citadelle monastique