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orthodoxe. Sa droiture, son austérité, son manque d’ambition personnelle, le mettent assurément fort au-dessus du roi catholique. De Philippe II ou des grands inquisiteurs espagnols, le haut-procureur a la foi, le fanatisme froid et patient, la haine de l’hétérodoxie, la passion de l’unité, l’habitude d’identifier les intérêts de l’état et les intérêts de l’église, le peu de scrupules quand il s’agit des uns ou des autres. On comprend qu’à tous les ministères qu’ait pu lui offrir la confiance du maître, un pareil homme ait préféré un pareil poste. Du saint-synode, il peut veiller à la fois sur l’église et sur l’état, faire la police spirituelle de l’empire, et, sans avoir la responsabilité du pouvoir, inspirer la politique de son impérial élève.


I.

En Russie, le clergé n’est pas seulement un corps, c’est une classe. Jusqu’à une époque toute récente, ce n’était pas seulement, comme en France avant la révolution, un des ordres de l’état, c’était une caste. Cette caste, longtemps fermée, se subdivise elle-même en deux classes différentes et parfois rivales : les popes et les moines, le clergé séculier paroissial et le clergé régulier monastique, ou, selon l’expression vulgaire, clergé blanc et le clergé noir. Entre ces deux clergés, la distinction fondamentale est le mariage. Le clergé noir est voué au célibat ; le clergé blanc, celui qui forme proprement la caste, est marié. Comme la tradition impose aux évêques le célibat, l’épiscopat est demeuré le monopole des moines.

Les Russes et les Grecs n’ont connu que les premières phases du monachisme, celles du moyen âge antérieur à saint Bernard, ou au moins à saint Dominique et à saint François. Des deux grandes directions de la vie religieuse, la vie active et militante, la vie contemplative et ascétique, les moines d’Orient ont toujours préféré la seconde, sans doute la mieux adaptée à l’esprit oriental. Chez eux, Marthe a toujours été sacrifiée à Marie. C’est pour la pénitence et l’ascétisme, pour la prière et la méditation que se sont fondés la plupart des couvens orthodoxes. Ce n’est ni le besoin de se grouper pour la lutte, ni le zèle du bien des âmes, c’est l’amour de la retraite, c’est le renoncement au monde et à ses combats qui ont jadis peuplé les couvens de la Russie. Les ennemis auxquels on y venait livrer bataille, c’était, à l’exemple des rudes athlètes de la Thébaïde, la chair rebelle et le dragon tentateur, sans autres armes que la prière et le jeûne. N’est-ce pas ainsi, à force de macérations, que les ermites de Petchersk ont mérité d’être appelés « des anges terrestres et des hommes célestes ? » Le moine russe n’avait en