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les forfaits des Cosaques et des Prussiens excitaient les colères vengeresses[1]. En franchissant les frontières, les alliés avaient lancé les plus rassurantes proclamations, et, aux premiers jours de l’invasion, ils avaient en effet maintenu la discipline. Mais déjà la jactance des officiers, leurs propos blessans, leurs façons de dire qu’ils étaient venus pour « museler » la France, irritaient les habitans, que ne mécontentait pas moins l’énormité des réquisitions. À Langres, outre les denrées nécessaires à la nourriture des troupes, on dut livrer, dans le délai de deux jours, 1,000 chemises, 1,000 paires de guêtres, 500 manteaux de drap blanc pour la cavalerie, 500 manteaux de drap brun pour l’infanterie et 2,200 culottes, dont 1,000 de drap bleu de ciel. Trois semaines après, les trois arrondissemens de Langres, Chaumont et Vassy étaient de nouveau taxés à 26,000 aunes de drap et à 50,000 aunes de toile ; cela sans préjudice des réquisitions particulières imposées aux communes. Vicq, qui comptait à peine 1,000 âmes, fournit en huit jours aux Russes 560,000 livres de pain, 28,000 livres de viande, 360 pièces de vin et eau-de-vie, 40,000 livres de pommes de terre, de farine et du fourrage à proportion, et enfin 650 cordes de bois sec, et 500 livres de chandelles[2]. Sur tout le territoire occupé, c’étaient les mêmes réquisitions : dans l’Aube, où Troyes fut taxée par le prince Hohenlohe à 150,000 fr. argent, à 18,000 quintaux de farine, 12,000 pièces de vin, 3,000 pièces d’eau-de-vie, 1,000 bœufs, 18,000 quintaux de foin et 344,000 rations d’avoine ; dans la Marne, où les caves furent vidées ; dans la Meurthe, dans la Côte-d’Or, dans l’Yonne, dans Seine-et-Marne, dans l’Aisne, où l’ennemi prit 6,000 chevaux, 7,000 bêtes à cornes et 40,000 moutons. Les alliés prétendaient aussi faire payer à leur profit les contributions arriérées

  1. Selon les traditions locales, les Prussiens auraient commis plus d’atrocités encore que les Cosaques eux-mêmes. Mais, d’après l’ensemble des documens authentiques, ils se valaient. Pour le pillage et les violences, les Prussiens et les Cosaques doivent avoir le premier prix (ex œquo) ; les Bavarois et Wurtembergeois, le second ; les Russes réguliers et les Autrichiens n’ont droit qu’à un accessit, — mais bien mérité.
  2. A Chaumont, le fameux Radetzky. alors major-général, avait laissé la renommée d’un ogre. Il lui fallait chaque jour pour sa table trente livres de bœuf, un mouton, un demi-veau, six dindons, oies et poulets, dix bouteilles de vin de Champagne, dix de vin de Bourgogne, trois de liqueurs fines, des tourtes, pâtés, etc.