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a fait place à la joie et à l’enthousiasme. On est dans la plus grande sécurité. » Le général Hullin, rebelle à toute illusion, dit dans l’un de ses rapports : « l’esprit public est bon et devient chaque jour meilleur. » Le préfet Pasquier, moins optimiste encore que Hullin, dit de son côté : « Jamais l’enthousiasme n’a été ni plus vif ni plus général. » Mortemart est dévoué, Hullin et Pasquier sont tièdes. Écoutons les ennemis : « Un changement subit s’opéra dans l’opinion, dit un officier anglais, prisonnier sur parole. Du plus grand abattement on passa à une confiance sans mesure. » — « Dès ce moment, dit l’Espagnol Rodriguez, dans un livre qui n’est, de la première page à la dernière, qu’une abominable diatribe contre l’empereur, dès ce moment, la joie et l’allégresse, dont les Parisiens ne peuvent pas se passer bien longtemps, commença à renaître et à se montrer dans les spectacles, dans les sociétés et partout ailleurs. » Il existe enfin un autre témoignage non moins décisif, celui de la Bourse, de la Bourse que ne guident ni les sentimens généreux ni l’esprit de sacrifice. La rente, qui, à dater du 8 janvier, avait oscillé entre les cours de 48 et de 50 francs, et qui, à la nouvelle de la défaite de la Rothière, le 4 février, était tombée à 47.75, la rente monta, le 11 février, à la nouvelle de la victoire de Champaubert, à 56.50, et, jusqu’au 3 mars, les cours se maintinrent entre 57 et 54[1]. Une telle hausse prouve que l’on avait repris confiance dans ! la Fortune napoléonienne, — cette divinité à laquelle les anciens eussent élevé des autels. Le raisonnement, que les succès de l’empereur ne servaient qu’à ajourner sa chute sans l’empêcher, ; ne convainquait personne. Si la Bourse eût pensé ainsi, elle eût baissé à la nouvelle des victoires françaises, puisque ces victoires ne faisaient que retarder le triomphe définitif des alliés, c’est-à-dire la paix. Comme la France entière, la Bourse voulait la paix ; mais cette paix, comme tous les Français, elle l’espérait glorieuse ; comme tous les Français, elle la voyait déjà imposée à l’ennemi par l’empereur victorieux.


VI.

Tandis que ces batailles gagnées élevaient les cœurs et ranimaient les esprits à Paris et en province[2], dans les départemens envahis,

  1. Voir le Moniteur de janvier à mars, ou plutôt les rapports de Pasquier et les bulletins de police de ces mêmes mois (Arch. nat., AF., IV, 1,534, et F. 7, 3,737, où sont rapportées en détail les différentes causes attribuées à la Bourse, même aux mouvemens de hausse : espérances de paix, victoires de l’empereur, arrivée du duc de Vicence à Châtillon, bruit d’armistice, Blücher coupé et l’empereur dirigeant lui-même les opérations, etc.
  2. Bien que moins impressionnable et moins mobile dans ses sentimens que Paris, la province recouvra le calme et la confiance à la nouvelle des victoires de l’empereur. Le bruit courut dans plusieurs provinces que l’ennemi se disposait à évacuer la France. (Rapports de préfets, commissaires de police et auditeurs en mission, et rapports du comte François, du 14 février au 6 mars. Arch. nat., AF., IV, 1,66 ; F. 7, 3,043, 3,772, 4,290 et 4,291. Préfet de l’Aube à Clarke, 2 mars ; préfet des Ardennes à Clarke, 6 mars ; préfet de l’Yonne à Clarke, 4 mars ; général Allix à Clarke, Noyers, 2 mars. etc. Archives de la guerre.)