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à Napoléon. Les mécontens ne tardèrent pas à exploiter celle distinction établie par les alliés entre le pays et son souverain. Ils rapprochaient cette déclaration du fait de l’ajournement du corps législatif. À les entendre, l’empereur en congédiant les représentans de la nation avait lui-même prononcé son divorce avec la France.

Dans cette ligue tacite entre les libéraux et les royalistes, ceux-là, encore sans dessein arrêté, n’apportaient que leurs rancunes ; ceux-ci, parfaitement fixés sur le but, à atteindre, apportaient leurs espérances. Pour eux, les alliés n’étaient pas des ennemis ; c’étaient des libérateurs. Peut-on, d’ailleurs, donner le nom de conspiration à l’opinion et aux manifestations royalistes qui, en janvier, s’étendirent à peu près par toute la France sans prendre d’importance nulle part ? L’organisation faisait défaut, les moyens de communiquer étaient difficiles, car on ne savait à qui s’adresser avec assurance, les chefs manquaient, et aussi, dans une certaine mesure, les soldats. Les royalistes, en réalité, étaient fort peu nombreux, mais à son insu chacun servait leur cause, qui en déplorant l’état de la France, qui en répétant des nouvelles alarmantes, qui en écrivant du théâtre de la guerre des récits, malheureusement trop vrais, des événemens. Cette conspiration, qui n’était que la conspiration de l’opinion, des fonctionnaires eux-mêmes s’en faisaient les complices par leur manque de confiance et d’énergie. Ils sentaient la terre trembler, et ils pensaient au lendemain : leur zèle se ralentissait. À quoi bon se compromettre davantage pour une cause perdue ? Dans la moitié de la France, les préfets ne montraient que faiblesse ; ici, quittant leurs départemens, tandis que les troupes s’y maintenaient encore ; là, éludant les ordres d’arrêter les conspirateurs, hésitant à appliquer les décrets sur la conscription, en retardant le plus possible l’exécution, et y procédant sans vigueur. « Il est difficile d’être plus mécontent que je le suis de vos préfets, » écrit Napoléon à Montalivet. — « Les préfets et sous-préfets, écrit le duc de Vicence, ont désorganisé la défense en Alsace et en Lorraine. » Des maires dressaient à dessein des listes d’appel incomplètes ; d’autres abandonnaient leurs administrés à l’approche de l’ennemi ; d’autres cachaient les fusils et refusaient de les délivrer à ceux qui voulaient se défendre ; d’autres, serviles jusqu’à la trahison, envoyaient au nom des alliés des ordres de réquisition dans les villages voisins non encore occupés[1]. À Lyon, on chansonnait sur tous les tons le préfet, le maire, les conseillers municipaux, pour leur inertie et leur pusillanimité. Du

  1. Voici le texte de ces réquisitions : « Le maire de Tonnerre aux maires de… Au reçu de la présente et sans autre délai, vous ferez conduire les quantités de… dans les magasins établis à Tonnerre. Faute par vous d’obtempérer à la présente, je serai forcé de noter votre commune aux commandans comme ayant refusé les subsistances, ce qui emporterait à l’exécution mililaire. »