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raison, la grande réserve de la France, ou, si l’on veut, le grand sous-entendu d’une situation troublée; et ceux qui déclarent à tout propos, avec l’assurance des partis infatués, qu’elle ne reviendra jamais, sont aussi puérils que ceux qui passent leur temps à annoncer tous les matins sa résurrection pour le lendemain. Le fait est qu’aujourd’hui comme hier et demain comme aujourd’hui, l’avenir sera ce qu’on le fera, et on pourrait dire à l’heure où nous sommes que ce sont les républicains, peut-être les républicains seuls, qui peuvent décider par leur conduite de ce qui arrivera. L’avenir sera aux plus sages, disait M. Thiers, et c’est encore vrai. Évidemment, le jour où les républicains, entraînant et précipitant la république, auraient définitivement désabusé et dégoûté le pays par leurs violences stériles, par leurs excès de domination, et auraient épuisé leur règne, la monarchie apparaîtrait ou reparaîtrait comme la suprême ressource de la France. Un manifeste de plus n’ajoute rien aux chances d’une restauration monarchique. Il ne simplifie rien et ne dénoue rien; il peut, au contraire, tout compliquer.

La monarchie que représente M. le Comte de Paris, c’est la monarchie constitutionnelle, libérale et parlementaire, on l’a cru du moins jusqu’ici, et cette monarchie n’avait pas besoin de programme. Son programme est dans son histoire, dans ses trente-quatre années de règne. Elle se confond avec la période du siècle la plus brillante par le déploiement régulier de toutes les libertés, par l’essor de l’intelligence française et des arts, par les progrès de la fortune nationale, et si, à la dernière heure, elle a péri par la sédition, elle garde l’honneur d’avoir laissé la France estimée du monde, intacte dans ses frontières comme dans ses ressources et dans ses libertés. Cette histoire parle par elle-même, et, libéralement interprétée, elle vaut bien un manifeste. M. le Comte de Paris, avec la bonne intention de tout concilier, a cru devoir y ajouter, en introduisant dans son programme des nouveautés qu’on nous permettra de trouver un peu étranges, quelque chose comme le plébiscite et une annulation à peine déguisée des droits les plus essentiels inhérens au régime parlementaire; mais y a-t-on songé? Le plébiscite et les assemblées de 1852, ce n’est plus la monarchie constitutionnelle, c’est l’empire. Les impérialistes se sont hâtés de dire : c’est l’empereur sous la figure du roi, c’est notre constitution, c’est notre principe! Les libéraux constitutionnels ne peuvent pas en dire autant. Qu’aura-t-on gagné ? M. le Comte de Paris, en essayant une fusion bienveillante et un peu chimérique de traditions si différentes, s’est exposé à offrir au pays une image difficile à saisir, une énigme à déchiffrer.

C’est un premier danger. Le nouveau manifeste a un autre inconvénient : il est peut-être peu opportun dans les circonstances où nous sommes ; il n’est pas fait pour simplifier une situation où les conservateurs