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L’année suivante, Léonard semble avoir reçu une commande moins importante, mais bien autrement faite pour tenter cette imagination amoureuse du bizarre : à la suite de la conjuration des Pazzi, le gouvernement florentin avait décidé de faire peindre les portraits des rebelles sur les murs du Palais-Vieux, afin que ces effigies ignominieuses servissent de leçon aux conspirateurs à venir. On s’adressa, comme de coutume, aux peintres les plus en renom, — le Giottino, Andréa del Castagne et tant d’autres, ne s’étaient-ils pas acquittés avec empressement de missions analogues ! Le tendre Botticelli se chargea d’une partie du travail, Léonard de l’autre. C’est du moins ce qui semble résulter d’un curieux dessin du cabinet de M. Léon Bonnat, dessin dans lequel Léonard a représenté un des conspirateurs, Bernardo di Bandoni Baroncelli, qui, après s’être réfugié à Constantinople, fut livré par le sultan, désireux de témoigner aux Médicis sa bonne volonté par cette extradition, et pendu à Florence le 29 décembre 1479. Le soin avec lequel l’artiste nota les particularités du costume du supplicié et jusqu’à la couleur de chaque partie du vêtement, nous autorise à croire que cette maquette devait servir de point de départ à une effigie monumentale destinée à prendre place à côté de celles de Botticelli. Voilà donc le peintre séraphique tout à coup transformé en pourtraiteur de criminels, presque en auxiliaire du bourreau! Léonard, j’en jurerais, accepta ce rôle sans répugnance. La science marchait toujours chez lui la main dans la main avec l’art. L’étude des derniers momens du patient, l’observation des spasmes de l’agonie, le passionnaient au point de vue de la physiologie pour le moins autant qu’à celui de la peinture proprement dite. Plus tard, à Milan, il assistera fréquemment aux exécutions capitales, non par une curiosité malsaine, mais par le désir, si légitime chez le savant et le penseur, de contempler la lutte suprême de la mort avec la vie, de saisir le moment précis où, le dernier souffle vital s’étant échappé, s’ouvre l’abîme dont nul œil humain n’a sondé le fond. Cette tension de toutes les facultés de l’observateur éclate avec éloquence dans le dessin de la collection Bonnat. Nulle place pour l’émotion, la pitié; nulle recherche même de la mise en scène : un cadavre aux vêtemens flasques suspendu au bout d’une corde, la tête penchée, les mains liées derrière le dos, telle est toute la composition. La sécheresse de l’inscription qui accompagne le dessin : « calotte couleur de tan, tunique noire doublée, manteau bleu doublé de peau de renard, chausses noires, » accentue encore l’impassibilité de ce jeune homme de vingt-sept ans en présence des drames les plus émouvans.

En 1481, la réputation de Léonard avait assez grandi pour que les moines du riche couvent de San-Donato a Scopeto, aux portes de Florence, le chargeassent de peindre le retable de leur maître-autel.