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di Credi dans son Annonciation du musée de Florence, sauf que, dans ce dernier ouvrage, le dessin est plus rond et plus faible. J’hésiterai toutefois à me prononcer dans ce débat, et cela pour plusieurs raisons. La composition offre une netteté, avec des lignes rigoureusement arrêtées, que l’on trouve rarement dans les ouvrages authentiques de Léonard. Celui-ci proscrivait autant que possible l’architecture de ses compositions, sauf dans la Cène de Milan, pour laisser le plus vaste champ au passage et à la perspective aérienne. La présence du magnifique socle antique, qui sert de pupitre à la Vierge, est aussi faite pour inspirer quelque défiance. Léonard, qui a si rarement copié des sculptures grecques ou romaines, aurait-il reproduit celle-ci avec ce raffinement de précision ? Bornons-nous donc à admirer cette œuvre charmante, qui présente plus d’un point de contact avec le style de Léonard, et n’essayons pas, quant à présent, de résoudre un problème fait pour exercer longtemps peut-être encore la sagacité des critiques.

Un dessin du musée des Offices, que M. Charles Ravaisson a le premier mis en lumière, nous fournit quelques indications particulièrement précieuses sur les travaux de Léonard après sa sortie de l’atelier de Verrocchio. Ce dessin, daté de 1478, nous montre que, dès lors, Léonard recherchait ces têtes à caractère, belles ou laides, qui devaient tenir une si grande place dans son œuvre. Il y a esquissé le portrait d’un homme de soixante ans environ, au nez busqué, au menton haut et proéminent, au cou fortement charpenté, à l’expression énergique, d’une facture aussi libre que sûre. Toute trace d’archaïsme a disparu; la souplesse est extraordinaire; les dernières difficultés dans l’interprétation de la physionomie humaine sont surmontées. Le croquis de 1478 deviendra en s’adoucissant la merveilleuse étude à la sanguine, également conservée aux Offices. En face de cette tête, qui attire tous les regards, se trouve une tête de jeune homme, à peine esquissée, avec ces lignes souples, un peu molles, qui sont l’essence même de l’art léonardesque. Puis des croquis de roues de moulin et comme un embryon de turbine. Léonard est là déjà tout entier. « Le... 1478, je commençai les deux Vierges Marie, » lit-on au-dessus du dessin. On ignore quelles sont ces deux madones, et le champ est ouvert aux hypothèses.

Dès lors, les concitoyens de Léonard, et même le gouvernement, comptaient avec cette réputation naissante. Le 1er janvier 1478, la seigneurie de Florence lui commanda un tableau destiné à l’autel de la chapelle Saint-Bernard, au Palais-Vieux. Il en fut, hélas! de cette œuvre comme de tant d’autres. Après l’avoir commencée avec ardeur (il reçut, le 16 mars de la même année, un acompte de 25 florins), l’artiste s’en dégoûta, et la seigneurie dut s’adresser à Ghirlandajo d’abord, puis à Filippino Lippi, qui s’exécuta en 1485.