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celle d’Atalante : il termina ses jours au service de prélats de la cour romaine. On orna son tombeau, d’après ses instructions certainement, d’un emblème bizarre, bien fait pour caractériser cette nature extravagante : un ange avec des tenailles et un marteau frappant sur une tête de mort. Zoroastre entendait proclamer par là sa croyance à l’immortalité de l’âme.

Étant donnés l’humeur facétieuse de Léonard, son goût pour les mystifications, — Michelet l’a appelé le frère italien de Faust, mais il y a bien aussi du Méphistophélès en lui, — ses habitudes de luxe, il est probable qu’il se lia particulièrement avec ces jeunes écervelés, et que plus d’une fois la bande joyeuse mit en émoi et scandalisa les paisibles bourgeois de Florence.

Léonard fit-il également commerce d’amitié avec un autre artiste, de beaucoup son aîné, mais en qui l’interprétation constante des sujets les plus graves était loin d’avoir étouffé la verve native et cette passion pour les charges qui forme bien un des traits distinctifs de l’école florentine, je veux parler de Botticelli? Toujours est-il que c’est un des rares artistes contemporains dont Léonard fasse mention dans ses écrits, et il joint à son nom la qualification assez significative de « notre, » il nostro Botticelli. Il n’invoque, d’ailleurs, le témoignage de Botticelli que pour le critiquer. « Celui-là, dit-il, n’est pas universel qui ne montre pas un goût égal pour toutes les parties de la peinture. Par exemple, si quelqu’un n’aime pas le paysage, il déclarera que c’est là matière à une courte et simple étude. Notre Botticelli avait l’habitude de dire que cette étude était vaine, car il suffit de jeter contre le mur une éponge imbibée de différentes couleurs pour obtenir sur ce mur une tache dans laquelle on peut distinguer un paysage. Aussi, ajoute Léonard, ce peintre peignit-il de forts tristes paysages. » La suite de la démonstration mérite d’être rapportée. Léonard, à son insu, y fait la critique de cette sorte de panthéisme pittoresque, de ces illusions de la vue auxquels personne n’a sacrifié plus que lui. « Il est bien vrai, déclare-t-il, que dans cette tache, celui qui veut les chercher voit différentes inventions, à savoir des têtes humaines, divers animaux, des batailles, des écueils, des mers, des nuages ou des forêts et autres objets semblables. Il en est comme du son des cloches, dans lequel chacun peut distinguer les paroles qu’il lui plaît. Mais, bien que ces taches fournissent divers motifs, elles n’apprennent pas à terminer un point particulier[1]. » Que de fois n’a-t-il pas dû arriver à Léonard de laisser ainsi flotter sa vue et son imagination sur les nuages ou sur les vagues, cherchant à retrouver

  1. Traité de la Peinture, chap. IX de l’édition récemment donnée par M. Ludwig, la première édition complète qui ait paru (3 vol. in-8o; Vienne, 1882).