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monnaie). Une tendre amitié l’unissait à son maître, qu’il accompagna plus tard à Venise pour l’assister dans l’exécution de la statue du Colleone, et qui, en mourant, le nomma son exécuteur testamentaire. C’était une nature profondément contemplative et religieuse ; la réforme de Savonarole le passionna, comme elle avait passionné la majorité des artistes florentins ; puis, après la chute du prophète, à un enthousiasme sans bornes succéda le découragement. Nous trouvons la trace de ses sentimens de contrition dans son testament : après avoir assuré le sort de sa vieille domestique, à laquelle il légua toute sa literie, une rente en nature; après avoir fait quelques libéralités à une sienne nièce et à la fille d’un orfèvre de ses amis, il décida que le reste de sa fortune irait à la confrérie des Pauvres honteux et ordonna que ses funérailles seraient aussi simples que possible.

Lorenzo, de sept ans plus jeune que Léonard, ne tarda pas à subir l’ascendant de son condisciple. Personne, affirme Vasari, ne savait aussi bien imiter la manière de ce dernier; Lorenzo copia notamment un de ses tableaux avec une telle perfection qu’il était impossible de les distinguer l’un de l’autre; ce tableau, ainsi qu’un autre copié d’après Verrocchio, prit le chemin de l’Espagne.

Aussi bien, Lorenzo di Credi était-il un esprit lent et laborieux, plutôt que vif et original. On raconte qu’il préparait lui-même ses huiles et réduisait de sa main ses couleurs en poudre impalpable; puis, après avoir essayé sur sa palette la dégradation de chaque ton, — il allait jusqu’à trente nuances par ton, — il défendait à ses serviteurs de balayer l’atelier, afin de ne pas ternir par un grain de poussière la transparence et le poli de ses tableaux, qui n’ont rien à envier sous ce rapport à l’émail. De même, il se distinguait par des convictions profondes; mais qu’importent chez l’artiste, chez le poète, les convictions quand il n’a pas le talent, c’est-à-dire la faculté de communiquer ses émotions aux autres!

Rien de plus limité que le cercle des compositions de Lorenzo: il ne sort guère des Saintes conversations ou des Madones, ces dernières généralement de forme circulaire. Ses figures sont le plus souvent lourdes ; l’enfant Jésus surtout se distingue par la grosseur démesurée de sa tête et par l’absence de toute expression. Le paysage offre plus de qualités, grâce surtout au coloris, dans lequel la fermeté n’exclut pas l’harmonie. En dehors de la peinture religieuse, Lorenzo di Credi ne s’est essayé que dans le portrait. Si ceux que lui attribue le catalogue du Louvre sont bien de lui, le condisciple de Léonard possédait au plus au point la finesse de la caractéristique ; quelques traits aussi sobres que précis et d’une incomparable légèreté lui suffisent pour fixer la physionomie et faire revivre l’âme de ses modèles sur une feuille de papier, généralement