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Mais revenons à notre point de départ, c’est-à-dire à la mise en apprentissage, — c’était alors le terme consacré, — de Léonard chez Verrocchio, et aux rapports du maître avec l’élève. Né en 1435, Andréa Verrocchio ne comptait que dix-sept ans de plus que son élève, avance qui peut paraître relativement faible vis-à-vis d’un génie aussi précoce que Léonard. Ajoutez que le brave sculpteur florentin s’était développé avec une lenteur extrême : il s’était consacré longtemps à l’orfèvrerie. La première statue qui le mit en évidence fut le David de bronze, terminé en 1476. Les deux seuls ouvrages de quelque importance qu’il eût exécutés auparavant étaient le sarcophage de bronze de Jean et de Pierre de Médicis, dans la sacristie de l’église Saint-Laurent (terminé en 1472) et un projet de mausolée pour le cardinal Forteguerra (1474). Encore le sarcophage ne contient-il pas de figures et le mausolée ne fut-il terminé qu’après la mort du maître. Puis vinrent, vers l477, le petit bas-relief de la Décollation de saint Jean-Baptiste, destiné à l’autel d’argent du baptistère; entre 1476 et l483, l’Incrédulité de saint Thomas, et enfin, vers la fin de cette trop courte carrière (Verrocchio mourut en 1488, âgé de cinquante-trois ans seulement), la statue équestre du Colleone, son chef-d’œuvre, restée inachevée.

À ces dates opposons maintenant quelques-uns des points de repère du développement de Léonard. Nous ignorons, à la vérité, quand il entra dans l’atelier de Verrocchio, mais ce fut à coup sûr longtemps avant l472, car à ce moment, âgé de vingt ans, il se faisait recevoir membre de la corporation des peintres de Florence ; en 1473, ainsi que le prouve un dessin sur lequel je reviendrai, il maniait déjà à la perfection la plume ; enfin le commerce des deux artistes se poursuivit jusqu’en 1476 au moins, comme le prouvent des accusations anonymes portées contre eux par quelque ennemi. Me taxera-t-on de témérité si, armé de ces dates, je viens soutenir, contrairement à l’opinion commune, qu’il y a eu entre l’élève et le maître un échange particulièrement avantageux pour ce dernier, que Léonard a donné à Verrocchio autant, peut-être plus qu’il n’a reçu de lui, car enfin lorsque ce parfum de grâce et de beauté commença de se faire sentir dans l’œuvre de Verrocchio, Léonard n’était déjà plus un apprenti, mais bien un maître consommé. Le Baptême du Christ, dont il sera question plus loin, n’est pas le seul ouvrage où la collaboration des deux artistes soit palpable, où le contraste entre les deux manières saute aux yeux : ce contraste, on le remarque bien davantage encore entre ceux des ouvrages de Verrocchio qui sont antérieurs à l’entrée de Léonard dans son atelier et ceux qui ont pris naissance plus tard.

Vasari et après lui Rio exaltent, il est vrai, le mérite de dessins remarquablement gracieux de Verrocchio, que Léonard aurait imités.