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dire mieux : « Quelquefois, écrit l’auteur du Voyage en Italie, parmi de jeunes athlètes fiers comme des dieux grecs, on trouve un bel adolescent ambigu, au corps de femme, svelte et tordu avec une coquetterie voluptueuse, pareil aux androgynes de l’époque impériale, et qui semble, comme eux, annoncer un art plus avancé, moins sain, presque maladif, tellement avide de perfection et insatiable de bonheur qu’il ne se contente pas de mettre la force dans l’homme et la délicatesse dans la femme, mais que, confondant et multipliant par un singulier mélange la beauté des deux sexes, il se perd dans les rêveries et les recherches des âges de décadence et d’immoralité. On va loin quand on pousse à bout cette recherche des sensations exquises et profondes. » Aussi bien Léonard n’est-il pas un de ces esprits concrets, pour lesquels la nature n’est qu’une source de thèmes pittoresques destinés à mettre en évidence le talent du peintre ; il l’embrasse dans son infinie variété, et qui sait ? peut-être est-ce parce qu’il l’a étudiée dans toutes ses déformations, toutes ses laideurs, qu’il est parvenu également à nous la montrer sous sa beauté la plus pure, la plus idéale.


II.

Le père de Léonard semble avoir résidé plus souvent à Florence qu’à Vinci, et c’est dans la capitale de la Toscane, à coup sûr, et non dans l’obscure bourgade de Vinci, que se développèrent les brillantes facultés de l’enfant. On a réussi dans les derniers temps à déterminer l’emplacement de la maison occupée par la famille : elle était située sur la place San-Firenze, exactement à l’endroit où s’élève aujourd’hui le palais Gondi. Elle disparut vers la fin du XVe siècle, époque à laquelle Giuliano Gondi la fit démolir pour la remplacer par le palais auquel il donna son nom. D’après une légende qui a pour elle toutes les apparences de la vérité, le père, frappé des aptitudes de l’adolescent, porta quelques-unes de ses esquisses à Verrocchio, avec lequel il était particulièrement lié, et le pria de lui en dire son avis. Celui-ci, rendant justice à ces essais, n’hésita pas à se charger de l’instruction du fils de son ami.

Vers l’époque à laquelle le jeune Léonard entra dans l’atelier de Verrocchio, l’école florentine était parvenue à cette crise climatérique où il faut, soit abdiquer, soit se renouveler. La révolution inaugurée par Brunellesco, Donatello et Masaccio, avait donné tout ce qu’elle était capable de donner ; aussi voyons-nous leurs successeurs du dernier tiers du XVe siècle flotter entre l’imitation et le maniérisme, incapables qu’ils étaient de féconder un héritage désormais usé. Dans l’architecture, quel que fût le talent des San-Gallo le sceptre ne tarda pas à passer dans les mains de l’Urbinate Bramante,