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« A dix heures, écrit le lieutenant Duburquois, nous courions au sud-ouest : l’ennemi mit à notre route. J’ordonnai de l’observer toute la nuit et de ne pas l’écarter. Sa position au vent à nous le favorisait, en lui faisant sentir le premier la fraîcheur des brises. Nous eûmes très peu d’avantage sur lui. A quatre heures, il n’était pas à une lieue dans nos eaux. Enfin le jour se fit : je reconnus le bâtiment que nous avions combattu pour une frégate. Aucune relâche ne s’offrait à nous ; il n’était aucun lieu qui ne fût beaucoup plus long à atteindre que l’Ile-de-France. Toutes ces considérations me déterminèrent à y aller. Je fis part à M. Motard de mon opinion : il la partagea. Appuyé de son avis, j’ordonnai de faire route. L’ennemi nous suivit de près. Le 19, après midi, plusieurs grains l’amenèrent à un peu plus de deux portées de canon. Le lendemain, quelques boulets que je fis tirer en retraite parvinrent jusqu’à lui. Le vent nous sépara encore. Le 20, me trouvant à près de trois lieues de l’avant, et la brise étant assez fraîche de l’est-sud-est à l’est-nord-est, je vins au sud-ouest, du sud-ouest à l’ouest, puis à l’ouest-nord-ouest ; enfin, à trois heures, au nord-ouest, où je fis gouverner le reste de la nuit. Au jour, nous ne vîmes plus rien du haut des mâts. J’ordonnai de gouverner au sud, pour nous écarter un peu de la partie méridionale des îles Maldives. Le 21, je fixai la route au sud-est. »

Le 12 avril 1808, la Sémillante mouillait au Port-Louis de l’Ile-de-France. Le 7 mai, on la désarmait. On ne dira pas que ce repos n’eût été bien gagné. La pauvre frégate, littéralement, n’en pouvait plus. Que de réflexions suggère cette carrière aventureuse ! La guerre maritime sera toujours une très rude épreuve pour les tempéramens les plus robustes, pour les constitutions le mieux trempées. Au moins faudrait-il la faire dans des conditions d’égalité physique et morale. Ce fut à peine le cas de 1778 à 1783. Depuis lors, nous n’avons connu que des luttes sans espoir, que des combats où nous avions tout contre nous, le matériel, le personnel et le souvenir des rencontres passées. Si les marins de la république et de l’empire revenaient au monde, s’ils pouvaient contempler nos arsenaux regorgeant de richesses, nos rades couvertes de vaisseaux dans la plénitude de leur force et de leur armement, s’ils voyaient surtout ce bon ordre, cette méthode dont ils ne concevaient pas même l’idée, je suis sûr qu’ils s’étonneraient de la modestie de nos ambitions. Et pourtant ce serait folie, selon moi, de vouloir, dans l’état présent de l’Europe, aspirer à l’empire des mers. L’Angleterre a fait de cette domination la condition même de son existence : on ne lui arrachera pas le sceptre, sans que le continent tout entier s’en mêle. J’irai d’ailleurs plus loin : je ne vois pas trop, la chose fût-elle