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seulement tiré un peu plus bas ! Il ne serait probablement pas resté sur la Terpsichore un homme vivant. On combattait à portée de pistolet, et c’étaient les vergues et les mâts de hune qui souffraient. Vit-on jamais canonniers plus mal inspirés ! Ne les accusons pas cependant : prenons-nous-en à ce fatal ras de métal qui nous a joué, pendant toute la durée de la guerre, de si mauvais tours[1].

Ce ne fut qu’à huit heures quinze minutes, si l’on en croit l’écrivain anglais, que la Terpsichore put songer à poursuivre la Sémillante, qui s’éloignait. Le second du capitaine Motard, le lieutenant de vaisseau Duburquois, nous expliquera les motifs qui le déterminèrent à ne pas prolonger davantage la lutte. « À huit heures quarante minutes, expose-t-il dans son rapport, joint, comme un complément nécessaire, à celui du commandant de la Sémillante, M. Morice, officier de manœuvre, me fit prévenir que le commandant venait d’être porté au poste du chirurgien. Je me rendis aussitôt derrière pour le remplacer ; M. Morice me succéda sur le gaillard d’avant. À mon arrivée sur le banc de quart, le bâtiment que nous combattions était par le travers de nos haubans d’artimon à tribord. Le feu continuait avec beaucoup de vivacité, particulièrement aux pièces de l’arrière, quoique la nuit fût extrêmement noire. » La relation anglaise confirme cette assertion. « Les pièces de retraite de la Sémillante, dit-elle, continuaient de hacher le gréement de la Terpsichore. »

Un combat de nuit est toujours à l’avantage de l’équipage le mieux discipliné. On cite à ce sujet l’opinion du capitaine Jervis, le futur vainqueur du combat de Saint-Vincent, l’amiral dont les leçons ont le plus profité au vainqueur de Trafalgar. Appelé par l’amiral Howe à donner son avis sur le moment où il convenait d’attaquer la flotte française qui couvrait, en 1782, le siège de Gibraltar, Jervis se prononça pour une action de nuit, se fondant sur la supériorité de discipline des équipages anglais. Il est certain que l’obscurité peut encourager bien des faiblesses. J’ai entendu raconter qu’une frégate française, la Sultane, si j’ai bonne mémoire, n’aurait peut-être pas été prise, en 1814, si les fanaux de sa batterie ne se fussent éteints sous la commotion produite par la canonnade. De la lumière ! beaucoup de lumière !.. voilà ce qu’il faut aux Français. Ils n’ont pas plus de goût qu’Ajax pour les ténèbres.

« Je distinguai bientôt, poursuit le lieutenant de vaisseau Duburquois, que l’ennemi avait le dessein de venir sur bâbord ; car il serrait peu à peu le vent de ce côté. Je voulus parer à ce mouvement qui exposait notre poupe, et j’ordonnai d’imiter promptement

  1. Page 594, ligne 37. au lieu de de l’axe, lisez du ras de métal.