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A sept heures vingt minutes, au rapport de l’historien anglais, — les horloges anglaises et les horloges françaises ne sont pas d’accord; pour tout le reste, les témoignages ne diffèrent en aucun point essentiel, — à sept heures vingt minutes, la Terpsichore avait éteint l’incendie. Elle fit voiles pour reprendre le combat. A sept heures trente minutes, la Sémillante passe obliquement devant la frégate anglaise et prend lof pour lof les amures à tribord. Imitant la manœuvre de la Sémillante, la Terpsichore vire lof pour lof à son tour. A sept heures quarante-cinq minutes, le feu de la frégate française mollit; à huit heures, il cesse complètement. Tels sont les incidens relevés sur la table de loch du navire que commande le capitaine Montague. Transportons-nous maintenant à bord de la Sémillante. Il s’y passe des événemens dont le capitaine Montague ne se doute pas. Nous avons laissé la frégate française occupée à augmenter la distance à laquelle jusque alors s’était livré le combat. « Le vent avait beaucoup molli, écrit le capitaine Motard; notre distance ne fut prise qu’à huit heures un quart. Pendant ce temps, je faisais tirer les gaillards à mitraille, la batterie à deux boulets ronds. L’extrême proximité des deux bâtimens rendait presque tous les coups assurés. A huit heures, une folle brise nous masqua. Il fallut manœuvrer en conséquence, mais la manœuvre était extrêmement lente, le gréement ayant beaucoup souffert et le pont étant encombré de débris. Le feu néanmoins ne perdait rien de sa vivacité. Nos positions respectives n’avaient presque pas changé ; nous avions seulement un peu plus dépassé le travers de l’ennemi. La mollesse du vent et les avaries paraissaient devoir nous laisser longtemps dans cette situation. En ce moment, à huit heures quarante minutes, je tombai blessé à la tête et à l’épaule. On me porta au poste du chirurgien. »

On a bien raison d’attacher une grande importance à ces combats de frégate à frégate, de leur réserver une place à part dans les annales des guerres maritimes. Ce sont les combats les plus sérieux et les plus meurtriers, — les Horaces et les Curiaces en champ clos. — Qui cédera le premier? Il n’y a pas là de ces raisons convaincantes qui obligent une armée à s’avouer sa défaite. Rien d’extérieur, si ce n’est les mâts qui tombent. Tout se passe dans le cerveau du chef. Il se croit de force encore à vaincre ou se juge irrémédiablement battu. Les têtes froides ont évidemment un grand avantage; les impétueux ont bien aussi leur mérite : ils triomphent sans donner à la réflexion le temps d’ébranler leur fermeté.

La Terpsichore, au dire de William James, avait à peine un bras, une bouline, une amure, une écoute qui n’eussent été coupés par les boulets de la Sémillante; la vergue de grand hunier, la corne de brigantine, étaient brisées, le mât de misaine, le mât d’artimon, avaient également été atteints. Quel massacre, si la Sémillante eût