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trop le répéter, finissaient presque toujours mal. Les frégates, les corvettes, employées à ce dangereux métier, y trouvaient-elles au moins plus de profit ? J’ai connu la plupart des officiers qui ont fait les campagnes de l’Inde : je n’en ai point rencontré dont l’opulence pût rappeler, à un degré quelconque, la richesse des « nababs. » Les nababs, dans la comédie anglaise, reviennent généralement au pays avec a liver complaint and a large property, — une maladie de foie et une grande fortune. — La maladie de foie, nos officiers la rapportaient aussi de leurs croisières ; la grande fortune avait passé, je ne sais trop comment, par les mailles du filet. Les Anglais prennent à tâche d’enrichir les serviteurs de l’état ; nous tenons à garder nos lévriers maigres. « Ils prennent mieux le gibier, » assure le proverbe. Les blood-hounds anglais cependant ont du ventre; les croyez-vous moins redoutables pour cela? Toutes les révolutions du monde n’y feront rien : la France restera toujours une nation de gentilshommes. Qu’elle récompense du moins ses vieux guerriers à la façon d’Athènes ! Les honneurs de la préséance, c’est-à-dire une bonne place au spectacle, suffisaient aux héros qu’a chantés Eschyle. Depuis qu’il n’existe plus de différence entre « le militaire et le pékin, » la coutume anglaise a bien, on en conviendra, son mérite.

A défaut du Pitt et de la Terpsichore, une escadre anglaise avait reparu devant l’Ile-de-France. Nous eûmes nos épreuves durant ces vingt années de guerre ; nos victorieux rivaux ne passèrent pas non plus cette rude période sur un lit de roses. Hiver comme été, il leur fallut tenir la mer, et quelles mers ! la mer du golfe de Gascogne, la Mer du Nord, la Manche, sans compter l’Océan-Indien. Le blocus de l’Ile-de-France était, au mois de septembre 1806, maintenu par le vaisseau de 74, le Sceptre, capitaine Bingham, et par deux frégates, le Cornwallis de quarante canons de 24, capitaine Johnston, construite, comme le Pitt, à Bombay, la Dédaigneuse de trente-six canons de 12, capitaine William Beauchamp Procter.

De l’Ile-de-France à Bourbon, il n’y a qu’un pas, — 25 lieues à peine. — Le capitaine du Cornwallis crut devoir un jour pousser sa bordée jusqu’à la baie Saint-Paul. La Sémillante y était au mouillage, entourée de douze navires de commerce pris sur l’ennemi. Il y va de l’honneur de la marine anglaise de ne pas laisser ce riche butin aux mains qui l’ont ravi. Le 17 septembre 1806, le capitaine Johnston reconnaît avec soin le terrain ; le 26, il ramène de l’Ile-de-France le vaisseau le Sceptre. Une attaque résolue déterminera peut-être la frégate française à faire côte; ce ne sera plus ensuite qu’un jeu d’enlever les bâtimens marchands qu’elle couvre de son aile. La Sémillante a pris ses précautions; son capitaine se