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l’heureux adversaire de l’amiral Saumarez, de celui qui, mouillé, le 5 juillet 1801, sous la protection des batteries d’Algésiras, — on sait le cas qu’il faut faire de cette protection, — repoussait, avec trois vaisseaux, l’attaque de six vaisseaux anglais et en forçait un, l’Hannibal, à baisser pavillon.

Serré de près par un vaisseau à trois-ponts, le Marengo, dans la nouvelle journée qui va terminer sa carrière, a déjà perdu 200 hommes ; l’amiral, le commandant Vrignaud, sont grièvement blessés : le feu continue encore. Il est pourtant des bornes à la défense : avec moins d’opiniâtreté que Linois, les plus vaillans Anglais nous l’ont, en mainte occasion et sans rougir, fait voir. Le Marengo et la Belle-Poule sont enfin obligés de céder au nombre. L’empereur pensa-t-il encore, quand cette triste nouvelle lui parvint, que Linois était fait pour exciter le mépris des Anglais? Rendons-lui cette justice : la perte du Marengo, sa défense héroïque, eurent le don de réconcilier le vainqueur d’Austerlitz avec le mécompte de Pulo-Aor. Linois, malheureux, rentra en possession de toute son estime. Et l’estime de l’empereur, c’était presque la gloire ! Quant aux Anglais, ils appréciaient si bien la valeur de leur capture, qu’ils gardèrent l’amiral Linois prisonnier pendant huit ans. Linois ne revit la France qu’en 1814.

Ainsi tous ces bâtimens qui, depuis deux ans, répandaient la terreur dans les mers de l’Inde, disparaissaient peu à peu, s’évanouissaient, comme autant de fantômes, l’un après l’autre, ne laissant derrière eux, pour soutenir l’honneur du pavillon, que la petite frégate du capitaine Motard.


V.

A quelle circonstance heureuse la Sémillante dut-elle d’échapper à la ruine commune? Une mission inattendue la sépara de la division dont elle faisait partie et dont elle eût vraisemblablement, sans ce hasard propice, partagé la destinée. L’amiral Linois ne quitta l’Ile-de-France que le 22 mai 1805. Dès le 8 mars, le capitaine Motard était parti pour Manille.

Les nouvelles d’Europe n’arrivaient pas alors dans les mers de l’Inde avec la régularité à laquelle nos paquebots à vapeur nous ont habitués aujourd’hui. Les Anglais se trouvaient presque toujours les premiers informés. La voie de Bassorah et celle de la Mer-Rouge leur étaient ouvertes : ils y avaient échelonné leurs courriers. En de rares occasions, cependant, la traversée rapide de quelque bâtiment neutre ou d’un navire chargé de dépêches nous mit sur nos gardes, avant que les Anglais pussent avoir connaissance des incidens qui modifiaient la situation politique. A la fin du mois