Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/612

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

violence qui lui est faite. La réparation concerne maintenant un gouvernement qui n’a guère l’habitude de souffrir qu’on manque à son pavillon.

Le vice-amiral Rainier, instruit de l’incident, ne ratifie pas cet acte d’une hostilité qui se démasque trop tôt. Il autorise le transport français à faire route pour l’Ile-de-France ; seulement, pour n’avoir pas à craindre que ce bâtiment, à bord duquel 326 soldats ont pris passage, aille débarquer ses troupes sur quelque point des possessions anglaises, il le fait escorter jusque sous le parallèle de 2 degrés nord par la frégate de sa majesté britannique la Dédaigneuse.

Je m’arrête un instant pour tirer la moralité de cet épisode. Le droit maritime est encore rempli de doutes et d’obscurités. La tradition orale l’emporte souvent sur les commentaires des jurisconsultes. Dans l’état présent des choses, la méfiance est un devoir. Les rades neutres elles-mêmes ne sont pas contre des attaques inopinées une garantie suffisante. Bien en prit aux bâtimens russes, que la guerre de Crimée trouva, en 185, dans les mers de Chine, de n’avoir pas attendu le courrier d’Europe pour vider les lieux. Ce courrier leur aurait apporté tout à la fois des journaux et des coups de canon.

Le message du 8 mars fut suivi du message du 16 mai. Celui-là était catégorique : on le connut à Madras le 3 septembre. Il ne précéda que de dix jours la déclaration de guerre. Vers la fin de septembre, la corvette de vingt canons le Berceau, commandée par le capitaine Halgan, arrive de Brest à l’Ile-de-France. Les bruits inquiétans, déjà parvenus aux oreilles du général Decaen, sont confirmés. Depuis le 16 août, la division de l’amiral Linois était mouillée au Port-Louis, port situé au nord-ouest de l’île. Le Port-Louis a subi de fréquens changemens de nom. Nous lui conservons son nom historique. Si nous l’appelions le port Napoléon, il nous faudrait aussi appeler l’ile Bourbon l’île de la Réunion, et l’Ile de France l’île Maurice : nous ne nous en sentons pas le courage. Quand donc nous déferons-nous de ces puérilités indignes d’une grande nation ? Le second empire nous a, sous ce rapport, donné une leçon excellente: il s’est noblement abstenu de faire la guerre aux étiquettes.

Les destinées de la France et de la république batave étaient, en 1803, si étroitement unies que la sécurité des Indes néerlandaises nous intéressait presque autant que celle de nos propres colonies. Gardée à l’Ile-de-France, l’escadre de l’amiral Linois l’aurait bientôt affamée : il était urgent d’envoyer cette puissante force navale chercher fortune au dehors. Le général Decaen voulut, avant tout, l’employer à renforcer la garnison insuffisante de Batavia. Le octobre 1803, le Marengo, la Belle-Poule, la Sémillante, le Berceau,