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Cuddalore. Le contre-amiral Linois envoie son capitaine de pavillon, le commandant Vrignaud, saluer l’amiral anglais, l’inviter en même temps à déjeuner pour le lendemain. Cette fois, il sera facile de s’entendre : les pouvoirs dont le général Decaen est muni ne sauraient laisser aucun doute.

L’amiral Rainier accepte l’invitation : la corvette le Rattlesnake vient de rallier; elle portera l’amiral devant Pondichéry. Le 13, au point du jour, à la grande surprise des Anglais, on n’aperçoit plus, ni en rade ni au large, un seul navire français. L’amiral Linois et ses vaisseaux ont disparu. L’escadre est partie nuitamment, sans bruit, laissant derrière elle non-seulement ses ancres, mais ses chaloupes mouillées sur leurs grapins. Que s’est-il donc passé? Comment expliquer un acte si peu en harmonie avec la courtoisie habituelle à notre nation? Ce qui s’est passé? Quelque chose assurément de grave. Le 12 au soir, à la tombée de la nuit, à six heures, est arrivé de France le brick le Bélier. Ce brick apporte le message adressé, le 8 mars, à son parlement par le roi d’Angleterre. L’amiral Linois n’en a pas demandé davantage : il a compris sur-le-champ que la guerre était inévitable, imminente, et, sans croire nécessaire de prendre congé de l’amiral Rainier, il fait route à cette heure pour l’Ile-de-France. Qui pourrait blâmer sa prudence? Ce ne sont pas, à coup sûr, ceux qui se souviendront des nombreuses captures faites par l’escadre de l’amiral Cornwallis aux atterrages de Brest, plusieurs jours avant l’ouverture officielle des hostilités[1].

Le 13 juillet au soir, le transport la Côte-d’Or jetait l’ancre à son tour sur la rade de Pondichéry. Le vaisseau le Centurion et la frégate la Concorde vinrent mouiller à portée de ce bâtiment. Le 15, aux premières lueurs de l’aube, la frégate la Belle-Poule détachée par l’amiral Linois à Madras, reparut devant Pondichéry. Une frégate anglaise, la Terpsichore, l’accompagnait. Voyant la rade occupée par une escadre anglaise, n’y retrouvant plus l’escadre de l’amiral Linois, le commandant de la Belle-Poule, le capitaine Bruilhac, conçoit à l’instant des soupçons. Il laisse la Terpsichore prendre son mouillage, échange des signaux avec la Côte-d’Or et fait voiles au large. La Côte-d’Or appareille. La Terpsichore lève immédiatement son ancre. Le transport s’éloignait ; elle lui appuie la chasse, l’atteint le 16, au point du jour, et lui intime l’ordre de rétrograder. Le commandant de la Côte-d’Or ne tient aucun compte de l’injonction. La frégate lui tire quelques coups de canon. Le transport amène ses couleurs et suit, sans plus de résistance, la Terpsichore au mouillage. Le capitaine a suffisamment constaté la

  1. Voyez, dans les Souvenirs d’un amiral, t. II, p. M. la prise de la frégate la Franchise, par une escadre anglaise.