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sourire (ne faut-il pas bien souvent un Ascagne enfant dans les romans de village comme dans les poèmes épiques, pour servir de prétexte aux premières effusions de l’amour naissant?). Mais pendant que se déroulait cette épopée tranquille dans le feuilleton du Journal des Débats, au moment même où le roman arrivait à son dénoûment, un autre dénoûment, qui fit beaucoup de tort au premier, nous dit Mme Sand, trouvait sa place dans le premier Paris dudit journal. C’était la révolution de 1848.

La crise fut vive pour Mme Sand. L’émotion de la première heure faillit arrêter la renaissance de son talent et couper brusquement, la veine nouvelle. Des amitiés exigeantes, arrivées au pouvoir, faillirent compromettre cette plume exquise dans les violences de la polémique : les Lettres au peuple et des Bulletins du ministère de l’intérieur, voilà ce qui remplaça, pendant quelques mois, les fables charmantes dont elle s’enchantait la veille et dont elle nous enchantait tous, il fallut l’insurrection terrible de juin pour rompre le charme et affranchir l’imagination devenue captive. « C’est à la suite de ces néfastes journées, dit-elle, que, troublée et navrée jusqu’au fond de l’âme par les orages extérieurs, je m’efforçai de retrouver dans la solitude, sinon le calme, au moins la foi... Dans ces momens-là, un génie orageux et puissant comme celui de Dante, écrit avec ses larmes, avec sa bile, avec ses nerfs, un poème terrible, un drame tout plein de tortures et de gémissemens. De nos jours, plus faible et plus sensible, l’artiste, qui n’est que le reflet et l’écho d’une génération assez semblable à lui, éprouve le besoin impérieux de détourner la vue et de distraire l’imagination en se reportant vers un idéal de calme, d’innocence et de rêverie. Dans les temps où le mal vient de ce que les hommes se méconnaissent et se détestent, la mission de l’artiste est de célébrer la douceur, la confiance, l’amitié, et de rappeler ainsi, aux hommes endurcis ou découragés, que les mœurs pures, les sentimens tendres et l’équité primitive, sont ou peuvent être encore de ce monde. Les allusions directes aux malheurs présens, l’appel aux passions qui fermentent, ce n’est point là le chemin du salut; mieux vaut une douce chanson, un son de pipeau rustique, un conte pour endormir les petits enfans sans frayeur et sans souffrance, que le spectacle des maux réels, renforcés et rembrunis encore par les couleurs de la fiction. » Ces lignes sont écrites au-devant de la Petite Fadette, comme un adieu à la politique orageuse, et un engagement, pris à demi-voix, de s’en tenir désormais à des rêves plus doux. La Petite Fadette fut le premier gage de la réconciliation de George Sand avec son génie. Dans ces années inquiètes, dans ces heures incertaines dont chacune apportait un péril ou une menace,