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une autre période, une période de renaissance. Bonheur inattendu ! Dans ces pages privilégiées, pas un mot de politique ni d’utopie. Rien qui divise, rien que de pudique et d’attendri, rien que de noble sans effort, de beau sans emphase, de touchant sans phrase! Un petit voyage de trois lieues, qui dure une nuit parce que l’on s’égare, une conversation plusieurs fois interrompue, reprise, quittée, entre le fin laboureur Germain, qui va chercher femme à Fourche, et la petite Marie, qui s’en va bergère aux Ormeaux ; deux personnages épisodiques, mais non étrangers à l’action, Petit-Pierre, qui voudrait bien avoir Marie pour seconde mère, et la Grise, une bonne et belle jument qu’on aime comme si elle était une personne, le bivouac improvisé sous les grands chênes et où la nuit se passe tout gentiment, pour Marie, à jaser et à dormir, pour Germain, à causer et à rêver, une émotion bien vite réprimée par le brave paysan devant tant d’innocence et de candeur, et, ce qui vaut mieux, un bon projet de mariage qui germe dans sa tête et qu’il remportera demain à la ferme, voilà tout; ce n’est rien, et ce rien restera dans notre littérature d’imagination parmi les œuvres accomplies, nées sous un rayon propice, et consacrées. La poésie est le talisman de M Sand; dès qu’elle y touche, la sympathie renaît et les mauvais rêves avec l’ennui s’enfuient.

Cette veine d’innocence et de poésie renouvelées devait porter bonheur à Mme Sand. Après s’être efforcée d’oublier M. Boisguilbault et son communisme dans les brillantes aventures de son Piccinino, elle revint avec amour à la veine d’or où elle avait déjà recueilli un trésor de grâce et de sentiment ; elle y puisa François le Champi. On eut peur en ouvrant le livre. On avait aperçu, parmi les premières lignes, quelques mots de funeste augure (je ne sais quelle théorie de la connaissance, de la sensation et du rapport qui est le sentiment), et l’on tremblait que M. P. Leroux n’eût répandu les lumières troublées de sa psychologie sur cette œuvre nouvelle. On se rassura bien vite. On respira en s’apercevant que cette page était absolument un hors-d’œuvre, une dernière concession à l’amitié. On respira, mais l’alerte avait été chaude. Il restait un roman berrichon de la tête aux pieds. George Sand avait plié son beau style à cette fantaisie du langage rustique, imité dans ses dernières finesses et saisi dans tout son naturel, pour raconter l’histoire de ce brave Champi, de la bonne Madelon, de leur bucolique amitié à l’ombre du moulin, amitié de mère de la part de Madelon, amitié de fils de la part de Champi, mais qui se change avec les événemens et les années en une tendresse bien vive et qui les mène, l’un donnant le bras à l’autre, jusqu’à l’église du village, avec le petit Jeannie derrière eux, souriant de son plus fin