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les angoisses d’un vieux moine mourant qui lègue à son successeur la flamme, recueillie dans le feu de l’orage, mais la flamme où s’allumera la révolte religieuse et plus tard la révolution.

A côté de ces grands romans, il ne faut pas oublier des œuvres moindres, non par le talent de l’auteur, mais par l’étendue. Qui ne connaît pas les nouvelles de Mme Sand l’ignore vraiment, ou est exposé à la méconnaître dans l’étonnante souplesse de son art. A travers ses plus grandes œuvres, à toutes les époques de sa vie, mais surtout dans la première période, se joue par intervalles un courant vif et bondissant d’esprit tout français, l’esprit renaissant du XVIIIe siècle, de fantaisie élégante et de curiosité aventureuse qui trouve à se répandre en liberté dans des fictions dont l’amour est le thème perpétuellement varié. A-t-on jamais manié l’ironie légère d’une main plus gracieuse que celle qui a écrit Cora, Lavinia, ou qui a tracé ces pages où la dernière marquise du XVIIIe siècle nous peint, en jouant avec son éventail, les mœurs et les caractères de son temps, et nous raconte la seule émotion qui ait failli troubler le cours harmonieux d’une longue existence, vouée aux amours faciles ! Et Lavinia, qui pourrait l’oublier ? Nous gardons, longtemps après qu’elle a disparu, l’impression de ce sourire où a passé la maligne vengeance d’un cœur trahi qui voit revenir à lui le transfuge et qui l’abandonne à son tour, avec une tristesse souriante, à ses remords vite consolés. Comme tous ces récits sont d’une invention naturelle, d’une-allure vive, d’un tour et d’un style exquis ! Métella nous montre au vif et au naturel en même temps l’art de peindre les troubles les plus graves du cœur, d’un trait discret qui laisse tout deviner, presque sans rien marquer et en courant à la surface. Le Secrétaire intime, Teverino. sont deux inspirations de la plus brillante poésie.

J’aime moins Leone Leoni, malgré la vigueur extraordinaire du ton, et je goûte médiocrement quelques pages dans la Dernière Aldini. La mère ne me plaît guère quand elle veut épouser son gondolier, et la fille m’effraie quand elle se jette à la tête du chanteur. Mais combien d’autres pages pleines de fraîcheur et d’éclat, et quel riant coloris ! que de finesse et de grâce dans la scène où Lélio se trouve pour la première fois en tête-à-tête avec la jeune Alezia! quelle lutte ingénieuse et piquante, et le charmant triomphe pour tous les deux ! L’éclat des grandes œuvres de George Sand a été trop vif ; elles ont été célébrées ou discutées avec trop de feu pour que les Nouvelles n’eussent pas un peu à en souffrir. Il y a là cependant quelques-uns des plus purs joyaux de cet écrin déjà si riche. Toutes les élégances de l’esprit s’y unissent comme pour faire un cadre d’or à un sentiment délicat. Grâce émue, fantaisie souriante, originalité tour à tour piquante et attendrie, que de dons aimables,