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les services qu’on lui avait rendus, et sur l’extrémité à laquelle le roi de Prusse s’était vu réduit par la retraite de l’armée de Conti, et le refus des subsides qu’il avait réclamés dans une nécessité pressante. Hors d’état de poursuivre la lutte à lui seul, avec un trésor épuisé et une armée affaiblie, il avait bien dû penser à lui-même et à ses peuples, mais sans oublier pourtant son allié. Rien, d’ailleurs, dans le projet de convention, n’était de nature à porter ombrage à la France, puisque tout se bornait au maintien entre les mains de la Prusse de cette conquête de Silésie dont la France, dans un intérêt personnel bien entendu, devait toujours désirer que la possession restât enlevée à ses rivaux. — « Ne vous trompez pas, disait le ministre prussien, si nous avions voulu promettre quelque chose contre vous, nous aurions pu obtenir davantage ; mais le roi a été inébranlable sur cet article. » — C’était donc un pas fait vers la paix générale dans les conditions que la France elle-même pouvait souhaiter, et rien n’étant conclu, tout étant encore en projet et restant en suspens, il lui suffisait, si elle voulait être comprise dans l’arrangement, de s’unir avec deux signataires de la convention pour venir à bout des résistances de la cour de Vienne. Et quant au secret qui avait été nécessaire pour aboutir, la France avait-elle droit de s’en plaindre, quand elle en avait donné l’exemple en provoquante La Haye, sans prévenir personne, la réunion d’un congrès général ? Devant cette étonnante argumentation, Valori paraît être resté à peu près muet. Mais en transmettant le récit fidèle qu’il venait d’entendre, il ne pouvait s’empêcher de demander si, à quelque prix que ce fût, il ne fallait pas s’estimer heureux d’être défait d’un allié si incommode. — « Je me borne à ce terme, disait-il, pour ne point entrer dans les autres qualifications qu’il n’a que trop méritées. »

Effectivement, était-ce la peine de répondre ? Il n’était que trop aisé de démontrer que le moyen d’avancer la paix générale n’était pas d’assurer à l’un des belligérans, par l’abandon de l’autre, un avantage dont il devait certainement être tenté d’abuser. Il était moins difficile encore de repousser toute assimilation entre une convention faite à deux, à huis-clos et dans l’ombre, et la demande d’un congrès où tous, publiquement appelés, auraient eu droit de se faire entendre. Mais les événemens, en se précipitant, allaient couper court aux désunions superflues, et l’avantage était assuré d’avance à celui des trois acteurs de ce drame qui saurait les faire tourner à son profit, en usant à la fois de plus de résolution et de moins de scrupule. Je n’ai pas besoin de dire qui était celui-là.


Duc De Broglie.