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couronnement étant terminées, le couple impérial quittait Francfort pour rentrer dans ses états et dans sa capitale[1].

L’impératrice mettait pourtant encore tant de prix à se venger de l’Angleterre en se faisant écouter de la France qu’elle entretint de cet espoir plusieurs des petits princes qui vinrent la saluer avant son départ ou sur son passage. — « L’électeur de Cologne m’a dit, écrit Aunillon, qu’il était persuadé que la reine de Hongrie n’était pas éloignée de faire sa paix avec la France, même aux dépens d’une partie des Pays-Bas, qu’il pouvait me le dire et qu’elle s’en était expliquée. » L’électeur de Trêves était moins affirmatif et jurait qu’on ne lui avait rien dit, mais il laissait tout entendre. « Préparez-vous à quelque chose d’extraordinaire, disait-il au résident ; je ne doute pas que la reine ne fasse volontiers sa paix avec le roi : il n’y a plus entre les deux maisons de France et d’Autriche aucun motif d’inimitié. — Mais le roi, répondit Renaud, ne veut pas traiter sans ses alliés. — Ah ! en ce cas, reprit en souriant l’électeur, c’est rendre la paix bien difficile[2]. »

Mais plus le désir de Marie-Thérèse se manifestait avec vivacité, plus semblait croître la répugnance de d’Argenson à y répondre. La victoire des Prussiens à Sohr le remplit de joie, et il la laissa voir à Chambrier avec une effusion d’autant plus remarquable que le ministre prussien (bien qu’imparfaitement au courant des divisions du conseil) apercevait clairement chez d’autres ministres des sentimens tout contraires. Ce qui semblait plaire le plus à d’Argenson dans cet heureux incident, c’est qu’il y voyait une raison de remettre en question, sinon l’existence même, au moins la portée et l’exécution de la convention de Hanovre. « Si le roi de Prusse, écrivait-il, a traité avec les Autrichiens, au moins il ne les ménage guère, et la convention prétendue tient maintenant du roman plus que de l’histoire. » — Mais, répondaient à l’unisson Conti, Vaulgrenant et même Chavigny, cet événement ne prouve rien, ou prouverait le contraire. Puisque le roi de Prusse s’est laissé attaquer et s’est borné à se défendre, c’est donc qu’il espérait et qu’il doit aujourd’hui plus que jamais espérer encore que la reine de Hongrie va adhérer à ce qu’on lui propose ? — « Non, répondait d’Argenson, il faut croire le mal le plus tard qu’on peut de la part d’un allié qu’on a ménagé avec tant de soin. Puis le roi de Prusse est d’un caractère si incertain qu’il ne persévérerait peut-être pas plus dans la

  1. Vaulgrenant à d’Argenson, octobre 1745, passim. — La réponse faite par l’Autriche aux propositions dont Saul était porteur n’est mentionnée dans cette correspondance qu’à la date du 30 octobre. Toutes les lettres précédentes se plaignent de la lenteur de la procédure suivie à Francfort. (Voir d’Arneth, t. III, p, 131.)
  2. Aunillon et Renaud à d’Argenson, 21 octobre 1745. (Correspondances de Cologne et de Trêves. — Ministère des affaires étrangères.)