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cérémonie. Mais la veille un bruit étrange se répandit et causa une surprise générale. Personne n’avait douté que Marie-Thérèse ne figurât dans la solennité à côté du nouvel empereur et ne fût couronnée avec lui ; l’espoir de la contempler était même pour la foule le principal attrait de la fête. On apprit tout à coup qu’elle refusait d’être associée au couronnement, et qu’aucune insistance (même les plus pressantes, faites par l’empereur lui-même) n’avait pu triompher de sa résistance. Elle donnait pour motif l’état de sa santé, qui ne lui permettrait peut-être pas de braver jusqu’au bout la fatigue de rester longtemps agenouillée. Mais ce prétexte ne trompait personne, car elle n’avait pas l’habitude de ménager une constitution très forte et que les épreuves répétées de la maternité n’avaient pas ébranlée. On se perdit en conjectures, et, aujourd’hui encore, les historiens se plaisent à commenter diversement cette résolution singulière. Ils inclinent presque tous à penser qu’ayant reçu à Prague et à Presbourg les insignes d’une souveraineté qui n’appartenait qu’à elle, elle trouvait au-dessous de sa dignité de n’arriver cette fois qu’au second rang, comme femme de l’empereur plutôt que comme impératrice, pour être associée à une dignité dont elle n’aurait que le titre. On ajoute même que, comme reine de Hongrie et de Bohême, elle avait vu placer la couronne sur sa tête ; à Francfort, ce serait le manteau impérial seulement qu’on jetterait sur ses épaules, et elle ne pouvait penser se résigner à un changement d’étiquette qui attestait une infériorité de situation.

Rien dans les sentimens connus de la princesse n’autorise à lui prêter ce mesquin calcul de vanité. J’inclinerais au contraire à faire une supposition tout opposée. Sans doute son affection conjugale, bien que toujours aussi vive, avait, avec les années, un peu changé de nature : elle n’avait plus sur les talens militaires et politiques de l’homme qu’elle aimait les illusions que, dans l’inexpérience de la jeunesse, lui avait fait concevoir l’ardeur d’une passion naissante. Le malheur, la nécessité et l’habitude du commandement lui avaient révélé combien était faible l’appui placé à ses côtés, et appris à ne plus compter que sur elle-même. Mais précisément parce qu’elle voyait maintenant plus clair dans le jugement que tout le monde portait autour d’elle, parce qu’elle savait que là où elle serait on ne regarderait qu’elle, — elle serait tout et François ne serait rien, — il lui répugnait de constater par cette éclipse certaine une infériorité qu’elle n’avait aucun plaisir à reconnaître. Elle pouvait craindre d’enlever ainsi aux yeux des populations allemandes tout prestige au chef qu’elle avait enfin réussi à leur donner. Ce jour tant attendu devait être celui de son mari et non le sien. Ce serait méconnaître l’originalité d’un noble caractère que de ne pas comprendre le rôle