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— « Pour ce qui est des soupçons que quelques ministres vous font entendre que je chercherais à m’accommoder avec la reine de Hongrie, vous ne ferez pas mal d’insinuer, si l’occasion s’en présente, que, jusqu’ici, il n’était absolument rien de conclu avec la reine de Hongrie. » — Il avait raison, rien n’était conclu, puisque la reine de Hongrie ne consentait à rien. Mais qu’aurait dit l’accusateur d’Escobar de cette assertion équivoque, qui n’était vraie que moyennant une restriction mentale[1] ?

Une situation indécise, qui n’était ni la paix ni la guerre, pouvait, en se prolongeant, avoir, même au point de vue militaire, de graves conséquences. Pour n’abandonner aucune de ses positions, et en particulier pour laisser le prince d’Anhalt en mesure de frapper en Saxe, au premier signal, le coup si bruyamment annoncé, Frédéric était contraint de donner à sa ligne d’opérations une étendue très difficile à défendre. Le prince de Lorraine, au contraire, n’ayant qu’à obéir aux instructions qui lui commandaient de prendre sans délai l’offensive, pouvait concentrer toutes ses forces sur le point qu’il lui con rendrait de choisir. Le résultat fut que l’armée prussienne ne compta bientôt plus dans le camp de Chlum, autour du roi qui y résidait toujours, que dix-huit mille hommes, tandis que le prince de Lorraine vint se placer en face avec une force plus que double. Cette fois, se méfiant de la capacité dont le prince avait donné, à Friedberg, une preuve si médiocre, la reine, sa belle-sœur, lui avait adjoint pour conseils deux généraux qui passaient pour expérimentés, le prince Lobkowitz et le duc d’Arenberg. Les deux armées étaient si rapprochées que Frédéric lui-même voyait les trois chefs autrichiens tenir leur conseil de guerre sur une hauteur voisine, munis de longues lunettes qui les faisaient ressembler, dit-il, à des astronomes, mais qui leur permettaient de compter les Prussiens homme par homme et de distinguer tout ce qui se passait dans le camp ennemi. La position de Chlum était trop bien choisie pour qu’il fût aisé de l’attaquer ; mais Frédéric ne tarda pourtant pas à s’y sentir gêné, parce que la cavalerie légère hongroise et autrichienne lui enlevait ce qui restait de subsistances dans une contrée déjà épuisée, et menaçait même d’interrompre ses rapports avec la Siiésie. Il crut donc prudent de faire un mouvement de retraite pour se rapprocher de la frontière de Bohême, afin de s’établir sur un point en communication avec ses magasins où il pourrait vivre plus à l’aise et attendre plus patiemment la fin du délai pendant lequel il était condamné à l’inaction.

  1. Valori et Loysel à d’Argenson, 15, 18, 19 septembre 1745 ; — Frédéric à Rothembourg, à Podewils, à André, 16 et 23 septembre 1745. — Pol. Corr., t. IV, p. 281, 283 et 288 ; — Frédéric à Chambrier, 28 septembre 1745. — (Ministère des affaires étrangères.)